C'est la rentrée littéraire, mais la poésie n'a pas de saisons. Elle circule un peu partout mais elle est sans cesse menacée de naufrage. A la lecture de la Revue des revues du numéro 126 de l'excellente revue Verso, je me dis que vraiment il existe beaucoup de publications, pas mal que je ne connais pas, et beaucoup d'énergie ! Mais y a-t-il assez de lecteurs ? Comme le dit Gérard Fabre dans Ici é Là n°4 : « La poésie était déjà une marge de la création littéraire, c'est devenu une marge de la marge. » C'est vrai, tant qu'à lire un bouquin ou un magazine, autant lire un canard avec pleins de ragots, le dernier Sarkozy ou Marie-Claire... Et pourquoi aller perdre son temps à lire des gars inconnus qui écrivent d'une manière assez bizarre et qui de toute façon ne représente rien sur la scène médiatique ? Et encore pourquoi un individu lambda scotché devant sa télé irait lire un truc tout seul dans son coin, alors qu'au programme il y a un nouvel épisode de la Star Académie ? Eternel combat entre une idée de la culture et le désert médiatique. Certes, il existe toutes sortes de magazines sur tous les sujets (du papier glacé périodique à consommer rapidement) mais demandez autour de vous qui a lu dans l'année un recueil de poèmes ou une revue de poésie, vous serez surpris de vous retrouver tout seul au milieu d'un désert ! Evidemment, c'est le boulanger qui se plaint de ne pas vendre assez de pain...C'est peut-être un mauvais boulanger, ou personne n'a assez d'argent pour en acheter. C'est ça : il vit dans un désert et les gens crèvent de faim parce que c'est comme ça et que de toute façon, il ne faut pas espérer que le monde change : le monde, ça bouge à coup de canons, le pouvoir, ça ne circule pas entre toutes les mains et de toutes façons les gens sont égoïstes. Alors, la poésie, tu penses bien que personne n'en a rien à foutre. Verso dans lequel est rapportée la formule de Gérard Fabre : « La poésie n'est pas une expression unique. Elle est multiple. » C'est vrai que Verso ne connaît pas de chapelle, à l'image des éditions Cadex. Alain Wexler dit dans sa préface : « Ainsi la langue avale tout le corps. La langue a ses chemins. Un chemin avale tout le corps. Un chemin tout droit, moins bien qu'un chemin courbe parce que dans la nature, la ligne droite n'existe pas. » Faudrait-il entendre que la poésie ne se donne pas d'emblée ? Qu'elle nous impose de sortir de nos chemins coutumiers ? Et qu'elle n'est pas une unique vérité mais une multitude de points de vues ? Ainsi, peut-être un de ses plus fabuleux destins serait d'investir tous les domaines de la pensée et de la création. Rêvons d'une cité idéale où les idées ne seraient plus formatées mais où la pensée appartiendrait à tous. C'est bien là que la poésie pourrait reprendre un nouveau souffle ... Certes, il faut bien croire que les choses se font peu à peu et que tous les efforts seront récompensés : la poésie pourrait survivre ainsi. Pour revenir à Verso, une autre citation d'Alain Wexler : « La femme dit : " Je suis contre toi, au pied du mur et contre ce mur, je colle une affiche où je te dessine et j'écris qui tu es". » Voilà bien un des buts de la poésie de nous proposer de nous retrouver nous-même, de parcourir d'autres chemins, véritable essence qui peut remplir la vie. Verso propose de multiples pistes et de multiples auteurs, à chacun de faire son choix, à chacun de se connaître et de se faire sa propre conception de l'écriture. A chacun d'apporter à l'édifice sa propre pierre.
Verso : Alain Wexler, Le Genetay, 69480 Lucenay. Le n° : 5,50 euros. Abonnement : 20 euros (4 n°)