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Les quatre pneus et le warning

Tournez à droite au feu rouge et garez-vous sur le parking. Laissez votre voiture et entrez dans le grand hall. La nouvelle Citroën est là. Bonjour à l’accueil. La réparation durera toute l’après-midi. On me ramène chez moi gratuitement en attendant de repasser le soir pour récupérer l’automobile. J’en ai eu pour 70 euros, mais il faudra revenir au garage pour changer les quatre pneus abîmés par l’hiver, lustrer les phares et réparer le warning. Comptez 500 euros pour l’opération. De toute façon, ça ne passerait pas au contrôle technique prévu en février. Je n’ai pas beaucoup roulé : 1000 kilomètres en deux ans. La vidange d’huile est effectuée, les filtres changés… Ma C1 roule bien depuis douze ans. J’avais cassé une R11 sur la route, rupture de courroie… irréparable ! La Renault a fini à la casse. J’ai trouvé cette citadine d’occasion chez le garagiste. Ca roule bien, pas trop vite. Lors de mon premier passage à l’examen de conduite, j’ai manqué de percuter de plein fouet un camion qui passait en sens inverse. Un bel accident évité de justesse… On m’avait demandé de mettre le désembuage … j’ai quitté la route des yeux quelques secondes avant de me rétablir sur ma trajectoire ! Donc, faites attention si vous me croisez ! J’ai une C1 bleue, avec une chaussure de foot au rétroviseur ! Pas d’accident depuis vingt ans que je roule, c’est dire si vous êtes prudents ! Monsieur, votre voiture sera disponible demain matin. Ah, ben voilà qu’il va falloir que je me lève avant midi ! La poisse ! Mais les mécaniciens sont bien courageux, eux. Ils embauchent à huit heures et demie et finissent à dix-huit heures. J’admire leur courage. Je suis admiratif de leur capacité à réparer ma voiture. Moi, je ne mettrais pas les mains dans le moteur… J’aurais peur de mal faire et de saboter inconsciemment la voiture, que le propriétaire me rattrape et me plante un couteau sous la gorge. Allons, ça se passe bien en général et il n’y a pas plus de meurtres chez le garagiste que chez le médecin. Chez Citroën aussi, il y a des médecins qui réparent les carrosseries, c’est tout pareil ! Et les études, c’est kif- kif ! J’ai un respect immense pour ceux qui travaillent dur pour gagner leur pain ! Ceux qui font des travaux ingrats… On parle de pénibilité, et c’est vrai : tout le monde n’est pas derrière un bureau ou un guichet ! De toute façon, il en faudra de plus en plus de mécaniciens, vu le nombre de voitures qui circulent ! Il faudra toujours plus de courage et de sueur. C’est gens-là bâtissent le monde et façonnent la société. Les travaux publics, les transports, l’agriculture, combien de métiers pénibles encore ? On n’imagine pas tout le courage qu’il faut pour faire un tas de boulots ! Et moi, j’aurai toujours besoin de quelqu’un pour réparer ma voiture ! Egoïstement, je soutiens les travailleurs. J’applaudis ceux qui se lèvent tôt. C’est pas avec mon AAH que je vais devenir rentier et me retirer du monde dans une île des Seychelles. J’aurai toujours besoin qu’on vienne réparer mon lavabo, ma télé, mon frigo… J’aurai toujours besoin d’une voiture pour aller faire les courses et poster mes revues à la Poste avant 15 heures 30. Quoi qu’il en soit, avec mon AHH, je suis privilégié. Je ne fous rien de mes journées. Pas de travail évidemment ! Pas d’impôts à payer ! Eh ben dis donc, t’en fais une grosse feignasse ! Oh, vous savez, on est tous un peu feignant… On ne travaille pas tous, dans les trains, les avions, les camions, les chantiers, les usines ou les supermarchés ! On croit que les choses se font comme ça, en claquant des doigts. Mais il y a tellement de défis à relever pour ceux qui font marcher le pays ! Moi, j’avoue que mon pas est bancal… Je ne produis pas, je ne cotise pas, je ne sers à rien. Je fais partie de cette population désorientée et désœuvrée. On ne m’a pas dit, on ne m’a pas montré le bon chemin. Je me suis usé sur des murs infranchissables. J’ai fait des boulots innommables. Oui, je suis privilégié. Français, blanc, tout en moi respire le terroir, l’identité nationale. Mais je ne sais pas réparer les voitures. Oh, j’ai d’autres qualités, mais je ne sais pas bricoler les moteurs. Nul n’est parfait. Alors, avec un respect immense, j’ai récupéré ma voiture ce matin. Et je prévois de la retourner la semaine prochaine. Au revoir au monsieur en bleu de travail. Merci à la dame à l’accueil. J’ai payé mais je suis content. Satisfaction, ma voiture est repartie pour une longue route ! Tournez à gauche au rond point. Puis foncez tout droit sur la route de campagne. Le soleil est radieux, le beau temps est revenu. Je rentre chez moi, cuire le beefsteak de midi. J’ai fait les courses. Je suis heureux. J’ai l’impression d’avoir une place dans la société. Ce sera toujours la lutte des travailleurs. Quand la poésie gouvernera-t-elle le monde ?

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