Tant qu'il y aura des questions, il y aura de la poésie. C'est dire si cette entreprise de verbalisation de la pensée durera longtemps. La nécessité de la poésie m'apparaît de plus en plus sociale, elle oriente non seulement les pas du marcheur sur le chemin réel qu'est la vie dans ce monde mais elle porte aussi l'individu dans son rapport avec les questions existentielles du sens et de l'être. Quel terrain extraordinaire que ce passage fugitif dans l'existence ! Quelle chance que la richesse et la beauté de ce monde ! Plus que jamais nous avons besoin d'être des rêveurs éveillés. Le poète doit s'approprier le monde ! La pensée doit se faire entendre de façon à ne plus être ensevelie sous le silence et la barbarie. La poésie est sociale ! Mais elle est aussi la métaphysique : au service du questionnement essentiel. Bien sûr, la poésie est ce qu'elle veut, elle ne se laisse pas cloisonner, elle diffuse à travers les mailles de nos filets. Des réponses ? L'homme en cherche et en cherchera toujours ! Mais quoi ! L'actualité est triste, le monde est tragique ! Oui, nous avons besoin plus que jamais d'intelligence. Il est plus qu'urgent de prendre la parole. Rien n'est pire que le silence. La poésie doit vivre car elle brise le silence. Dans ici é là, Laurent Bourdelas nous dit pourtant : " J'écris pour rien / même pas pour m'amuser / J'écris, cela ne sert à rien / je fais des petits bonds sur la page et dans ma vie / pas des sauts-de-loup, des petits bons vers la fin / qui m'éloignent des bonbons et de maman". Oui, la poésie comme domaine est une impuissance. La fatalité du réel dépasse toutes les petites explications et l'inexorable énigme de la vie brise toutes les certitudes, n'en sera-t-il pas ainsi jusqu'à la fin des temps ? Pourtant rien ne nous empêche de prendre la parole, ici et maintenant. Insoluble mystère et infinie question. Liberté et spontanéité de la parole. Dans " La voix", Serge Delaive nous dit : "En fait / je ne suis jamais parti / J'étais ici / comme chaque jour." Oui, pour la poésie, tout est bien ici, il s'agit de chercher et de découvrir, d'oser franchir le pas. " Des questions il y en a, jusqu'à la nuit trop souvent, des questions à ouvrir les yeux", nous dit Ariane Dreyfus. Plus loin, Mahmoud Chalbi écrit : "Et, dans la joie, tu produis, tu fais, tu crées... sans te ramasser... te retrouver... en manque !" Oui, l'homme sera toujours en manque de réponses et avide de satisfactions. Au poète de consumer la flamme qui le rapprochera de la vie.
Il me semble de plus en plus que la poésie est sociale. Elle est aussi la vie. La revue ici é là nous donne l'occasion de lire une poésie multiculturelle, sans chapelle, attentive à la diversité de voix nombreuses. Si la poésie va mal dans sa relation avec le public, c'est qu'elle souffre d'une incompréhension totale. Quel terrain aujourd'hui pourrait lui permettre de se développer ? Les salons, les manifestations ne suffisent qu'à l'entretenir. Quelle richesse pourtant ! ici é là en est à son numéro 4, tirée à 500 exemplaires, elle est un acteur bien vivant et actif dans son domaine. Revue de la maison de la Poésie de Saint-Quentin-en-Yvelines, elle est de celles qui font vivre le paysage culturel, un exemple d'action social. Lire ses pages, se laisser émouvoir et aller à la réflexion, c'est en quelque sorte signer un pacte, parier sur le pouvoir subversif de la pensée. Composée d'une partie création, d'un dossier (ici les Poètes tunisiens d'expression française), d'articles et de notes, magnifiquement mise en page et illustrée, elle est une incitation à se surpasser dans notre vie. La poésie n'est pas grand chose, ce n'est pas un métier, à la rigueur un artisanat, mais pour quelques personnes elle est tout, elle englobe le monde, l'accueille dans ses moindres contradictions. Tout juste est-ce un mirage dans le désert, un sommaire, un article, une envie de briser les carreaux et de s'envoler.
Au sommaire de ici é là n°4 : Images ė mots : Serge Delaive, Marc Giai-Miniet, Laurent Bourdelas, Ariane Dreyfus, Patrick Joquel, Nicolas Gille ; Si près ė si loin : Un parcours tunisien : Hédi Bouraoui, Tahar Bekri, Youssef Rzouga, Slaheddine Haddad, Amina Saïd, Marianne Catzaras, Mahmoud Chalbi, Aymen Hacen. Dessus ė dessous : 20 ans de Cadex, De retour de Trois-Rivières, Les éditions Eclats d'encre, Hommage à Lewigue, Danse à l'école, Un poète, un artiste, un livre, Poésies sur le territoire, un aperçu ; Ecoute ė note : recension et programmation.
ici é là : La Maison de la Poésie. 10, pl. Pierre Bérégovoy. 78280 Guyancourt. 10 euros