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  • Parole de poète : Flora Delalande

    Quand la poésie s’empare de nos vies, de nos états d’âme, de notre cœur, cela donne un beau chemin d’amour. Flora Delalande, en poète pluridisciplinaire, s’avance dans cette voie avec beaucoup d’élégance et de détermination. Car la poésie touche à l’art, et se destine naturellement au public, aussi varié soit-il. Cette démarche permet de faire vivre la parole de différentes manières dans un souci de partage. La voie poétique est indissociable de la beauté mais aussi d’une prise de position sociale. Et c’est ici ce que l’homme peut créer de plus sincère. Le livre est un bel objet, véhicule un sentiment, une identité. Loin du formatage, l’art se donne au public, invite, sollicite le lecteur dans le respect du travail bien fait. L’auteure nous donne ici quelques clefs face au monde malmené de l’édition. « Un conseil ? D’abord, demandez-vous pourquoi vous tenez tant à être publié » interroge Flora Delalande. La naïveté, l’ego, l’ignorance, sont souvent source de n’importe quoi : l’identité ne s’abime-t-elle pas dans des pratiques douteuses ? Il s’agit de se réapproprier sa vie. Les conseils qui nous sont donnés ici doivent interroger les (jeunes) auteurs mais aussi un certain public. La poésie est une chose sérieuse à prendre en compte par l’ensemble de la « société ». Chacun peut créer de la beauté. Chacun peut défendre son identité. Flora Delalande, jeune auteure publiée en septembre dans le dernier numéro de Mot à Maux, a bien voulu répondre à quelques questions afin de nous éclairer sur son travail. Elle nous accorde aimablement une analyse très fine de quelques concepts essentiels de la poésie.

    Site de Flora Delalande : Hostile au style

     

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    Entretien avec Flora Delalande :

     

    Daniel Brochard / Vous parlez de « livre pauvre » et de « livre d’artiste », de quoi s’agit-il ?

     

    Flora Delalande / Le livre pauvre – comme je l’entends du moins, car j’ai pu constater qu’il existait plusieurs définitions – c’est un livre entièrement fait à la main et qui se situe en dehors du circuit traditionnel du livre. Un auteur et un plasticien (collagiste, dessinateur, photographe, peintre… tout est possible) décident ensemble de faire un livre « avec les moyens du bord ». Il peut s’agir d’une simple feuille pliée en deux ou de formes légèrement plus élaborées, selon les envies du moment. Les deux artistes sont les deux seuls artisans de leur livre : pas d’éditeur, pas d’imprimeur, pas de diffuseur, par de vendeur puisque qu’un livre pauvre ne se vend pas : il se donne, s’expose ou se garde. L’idée est de créer un livre à deux, pour le simple plaisir de la création, de la collaboration et de la co-inspiration. Il s’agit en effet d’un dialogue entre deux artistes. Par exemple, le dessinateur crée le petit livre et y dessine ce qui lui vient. Il fait cela en 2, 3 ou 4 exemplaires, toujours à la main. Ensuite, il le donne à l’auteur qui, en fonction de ce que lui inspire le dessin, va écrire un texte – souvent des poèmes étant donné le format court mais il n’y a pas de contrainte établie de genre. Il le recopie sur chacun des exemplaires. Parfois, c’est l’auteur qui commence et le plasticien qui répond : il n’y a pas de règle. Enfin, charge aux artistes de se répartir les livres comme ils le souhaitent.

    J’ai pour ma part découvert le livre pauvre grâce à la collagiste « Ghislaine Lejard ». Depuis, j’en ai fait quelques-uns avec elle mais aussi avec Barroux et bien d’autres… J’aime cet acte gratuit qui a pour seul profit le plaisir et permet parfois de belles rencontres artistiques.

    J’ai découvert le livre d’artiste un peu plus tard, grâce à la magnifique collection de la bibliothèque Forney. Là encore, ce ne sera que ma définition personnelle. Il s’agit de livres faits artisanalement, généralement dans un souci de dialogue entre texte et image, texte et matière, impliquant souvent deux artistes, même si cela n’est pas systématique. De même, il s’agit de tirages limités et parfois uniques – parfois écrits à la main, parfois typographiés, au texte parfois imprimé. Les œuvres graphiques sont originales, ou imprimées avec un soin extrême. Par contre, contrairement au livre pauvre, le livre d’artiste s’inscrit dans un schéma commercial, flirtant avec le marché de l’art. Les artistes du livre finissent par avoir une cote : éditeurs, courtiers, collectionneurs sont au rendez-vous. Techniquement, le livre d’artiste est souvent plus élaboré que le livre pauvre : il requiert des matériaux onéreux, nécessite une grande maîtrise technique et des heures, des journées, des mois de travail. Ce sont bien souvent de petits joyaux, dont certains questionnent les limites du livre, le poussant à l’extrême vers l’objet, l’œuvre d’art.

    J’ai pour ma part eu la chance de créer deux livres d’artistes avec Catherine Decellas : Partir, tiré à 10 exemplaires puis Présence, Pensée, Rêve, tiré à 20. J’aime énormément l’univers du livre d’artiste, pour la richesse artistique dont il est l’écrin, même si je suis moins friande de l’aspect de spéculation qui l’accompagne trop souvent.

     

    De nombreux (jeunes) poètes publient à compte d’auteur, pensez-vous que l’on puisse éviter cette pratique où l’argent achète la publication, et quels conseils donneriez-vous à ces auteurs ?

    Je pense qu’on peut enlever le « jeunes » qui précède « poètes » : ce n’est vraiment pas une généralité ^^.

    D’après moi, cette pratique est d’abord liée à une ignorance des possibles. Éditer à compte d’auteur, c’est se tourner vers un éditeur qui vous demande de payer la publication de votre livre et qui, malheureusement, bien souvent, fait ensuite bien mal son travail d’éditeur (relecture / corrections / mise en page et, surtout, diffusion).

    Un conseil ? D’abord, demandez-vous pourquoi vous tenez tant à être publié. Ensuite, vous avez deux options : l’édition à compte d’éditeur ou l’auto-édition.

    Pour l’édition à compte d’éditeur : comptez sur la chance, sur le bon moment ou sur le temps. Ne vous contentez par de chercher un éditeur coûte que coûte en envoyant votre manuscrit à toutes les maisons d’édition ou en écumant les salons du livre d’un œil acéré. C’est désagréable pour tout le monde ! Demandez-vous dans quelle maison cela ferait sens, pour votre manuscrit, d’être publié. Être édité est avant tout une aventure humaine et artistique : cela doit faire sens.

    Si vous préférez faire votre affaire dans votre coin ou si vous n’avez pas encore trouvé l’éditeur de vos rêves mais trépignez à l’idée de tenir votre livre entre vos mains, tournez-vous plutôt vers l’auto-publication. Certes, vous serez celui qui avance les fonds, crée le livre de A à Z, prend en charge la diffusion mais vous maîtriserez votre création et récupérerez les fruits de vos efforts si votre livre parvient à se vendre. Vous êtes responsable de bout en bout : en auto-publication, on peut sortir des choses magnifiques comme des torchons, puisque nous sommes les seuls juges de notre travail.

     

    Comment publiez-vous vos ouvrages ? Pouvez-vous nous parler de votre rapport à l’autoédition et aux éditeurs ?

    J’ai auto-édité la plupart de mes ouvrages. Tout a commencé par la simple envie d’avoir mes textes dans un livre « concret ». J’ai ainsi auto-édité mon premier livre, simplement, pour le plaisir, la famille et les amis.

    Puis j’y ai pris goût : choisir son illustrateur, le format du livre, son papier, son tirage. Aller à la rencontre de mon lectorat via les rencontres et les salons : tout cela me plaît beaucoup. De plus, j’ai toujours eu la chance d’être entourée de personnes compétentes sur les questions d’éditions, ce qui m’a permis d’avoir une foule de conseils, des livres lus et relus, bien maquettés, etc. Merci à eux !

    Petit à petit, j’ai mis un pied dans le monde de l’édition à compte d’éditeur. D’abord par l’intermédiaire de revues poétiques où quelques-uns de mes textes ont été et sont publiés, puis en étant la première auteure des Editions Paysages, maison d’édition poétique ayant pour mot d’ordre de laisser la poésie respirer, prendre le temps. L’année dernière, comme je le disais, j’ai eu le plaisir d’être éditée à deux reprises par Catherine Decellas. Actuellement, je suis sur un projet d’édition avec une jolie maison d’édition poétique, tout en menant un projet auto-édité en parallèle.

    Je ne « cherche » pas d’éditeur ; j’attends de les trouver. Ce n’est que lorsque je sens une connexion profonde entre mon écriture et l’univers d’une maison d’édition que je lance des bouteilles à la mer. C’est, pour moi, la plus douce manière de procéder. Lorsque cela fonctionne, c’est un vrai bonheur et on ne peut nier qu’il est agréable de recevoir ainsi la caution d’un éditeur et de voir tout le travail de réalisation et de diffusion du livre se faire sans s’y épuiser. Et puis ça permet aux livres de voir plus grand, de voir plus loin, de voir ailleurs que dans mon seul réseau. Bref, de vivre au-delà de moi.

     

    Vous avez créé avec de jeunes poètes l’association Le Temps des Rêves. En ces temps de désespoir, quel rôle social attribuez-vous à la poésie ?

    D’abord, je ne crois pas que nous vivions dans des « temps de désespoir ». Tout n’est pas rose, certes. De grandes difficultés existent et sortent au grand jour, oui. Mais nous sommes aussi dans une période mouvante qui nous oblige à questionner l’avenir. Quelque part, je trouve cela très stimulant.

    Rôle social ? Pour moi, le rôle tout court de la poésie, c’est exister. Et en existant, c’est d’apporter du beau, de percuter, de questionner, de prendre le temps. Dernièrement, j’ai participé à une table ronde ayant pour thème « Habiter poétiquement le monde ». Écrire et dire de la poésie, c’est peut-être avant tout cela : dire aux gens « Regardez, il y a de belles choses : il suffit parfois de prendre le temps de les regarder » ou bien « Regardez : c’est horrible. Et si on faisait quelque chose ? ». Aussi, par la subjectivité qui lui est inhérente, la poésie a un rôle de miroir qui fait parfois beaucoup de bien à certaines personnes, à certaines périodes de leur vie. La poésie provoque parfois des révélations. « Rencontrer quelqu’un qui connaît le même monde que nous, c’est comme apprendre que l’on n’était pas fou », dit Christian Bobin. J’aime quand je lis dans les yeux des gens qu’un poème a permis cette rencontre. C’est pour cela que je pense que la poésie doit sortir des livres pour aller se dire et s’écrire partout : dans les théâtres, les librairies, les bibliothèques mais aussi dans la rue, dans les prisons, les maisons de retraite, les hôpitaux, les écoles. Seule et avec Le Temps des Rêves, c’est ce que je m’efforce de faire au maximum, par le biais de spectacles et d’ateliers d’écriture.

     

    Votre dernier ouvrage porte un très beau titre : « On dit que Dieu n’habite plus là ». Pouvez-vous présenter ce recueil ?

    Bien sûr ! On dit que Dieu n’habite plus là est un recueil de huit textes poétiques en prose, nés de la rencontre avec une petite chapelle juchée en haut d’une colline, en Normandie. J’ai découvert cette chapelle et, de retour chez moi, me suis mise à écrire. Dans ces poèmes, je parle de ma rencontre avec ce lieu et de l’histoire qui a pu être la sienne. J’esquisse le bel écrin de verdure dans lequel elle se cache. On y entend des rires d’enfants, on y perçoit quelques étoiles dans les yeux d’une femme : une foule de petits riens qui font toute la sève du lieu et de mon ressenti.

    Quelques années plus tard, j’ai rencontré le photographe Léonard Pietri : il nous est alors apparu comme évident de créer quelque chose ensemble. Nous partageons en effet une certaine vision de la vie : sans cesse en quête de beauté, nous éprouvons une certaine foi, sans que celle-ci ne soit rattachée à une religion. La foi, ce peut être l’ébahissement devant un joli tapis de mousse ou un dessin de lumière sur le sol. C’est en raison de cette résonance commune que nous avons décidé de travailler ensemble, à partir des textes de la chapelle. Il a capturé, avec son œil de photographe, les détails infimes qui disent tant du lieu. Textes et photographies dialoguent paisiblement dans une mise en page sobre, au sein d’un livre que nous avons voulu beau et élégant.

    Alors… pourquoi « On dit que Dieu n’habite plus là » ? Parce qu’il paraît qu’il n’habite plus dans la chapelle depuis qu’il a déménagé dans l’église de l’autre côté du village. Mais ce ne sont que des rumeurs humaines, n’est-ce pas ? On sent bien, quand on va là-bas, que la vie ne s’en éclipsera jamais.

    Si vous êtes curieux, vous pouvez aller lui rendre visite : La chapelle Notre Dame des Roches se situe au Châtellier, dans l’Orne. Et si c’est trop loin, vous la ressentirez en plongeant dans le recueil. Vous trouverez toutes les informations sur mon site personnel Hostile au style.

     

    On peut retrouver Flora sur Facebook

  • graphorrhées-fragment 1, poème d'Adrien Nasone

    graphorrhées-fragment 1

     

    Je m’opère moi même

    me décortique

    décor les tics de mes tocs

    les tics tacs onomatopeux qui m’évite et m’irrite.

     

    A vif et clandestine ma peau s’élastique

    elle ondule

    elle ondine

    elle ovale

    elle ovule.

     

    Ventre rond

    je suis enceinte pour toujours

    mais je n’enfanterais jamais que des maux-mots.

     

    Au bout de ma langue

    il y a des microcosmes de larves à venir

    des lunes croissant quartier de pomme

    l’ivresse incertaine

    l’ivresse tragique

    nez rouge aussi.

     

    Dans ma grotte

    dans l’encre vagin de ma caverne ventre rond

    entre placenta et naissance

    il y a quatre murs

    quatre murs à la verticale de mes horizontales

    un plancher pour m’empêcher de m’enfoncer terre à terre

    un plafond pour m’empêcher de m’envoler lyrique.

     

    En-quête toujours fragmentée

    lourde haleine chargé déchets pesanteur

    et spleen détail d’un fond de verre.

    Il faudrait que je pense à faire l’apologie d’un postillon.

     

    Présentation d'Adrien Nasone :

     

    L’écriture je la vis plus que je ne l’écris.

    Au dehors comme au dedans, je la chuchote parce qu’elle est comme un secret.

    Mais aussi je la dis

    et aussi je la crie.

    Petit poucet, je sème ici et là des traces de mon passage.

    Depuis peu,

    j’ose m’incarner

    et me laisser lire.