Je reçois « Le poème de la haute demoiselle » de Cristina Onofre, Grand prix de la poésie décerné par Poètes Sans Frontières. Le poème est une assimilation totale entre l'être et la nature. Celle-ci est chantée, ressentie, vécue. « Le jour commence par une pluie fine » introduit « Le poème de la haute demoiselle », « avec ce frêne dans ta pensée ... » car, si l'être est une partie de la nature, il a en lui cette interrogation qui le porte, cette caractéristique d'être humain qui le fait à la fois lui-même et autre chose. Ainsi commence cette quête de l'essence, de l'origine : « le bois sec et aromatique / de mon berceau. » L'immersion dans la nature, toute bienveillante, merveilleusement belle, est une tentative de retrouver en soi l'être humain véritable : « cet arbre de l'enfance ». Si le sort du poète se confond avec celui de la nature qui l'a créé, c'est que « dans les couches du miroir, / à travers la fenêtre ouverte... » il ne peut se passer de son propre corps, ne serait-il qu'une herbe, qu'un arbre ou qu'une rivière. Le poète est ainsi celui qui plane et imite « le vol des oiseaux /.../ au-dessus des eaux ». « Etant forêt, / j'ai une histoire » affirme l'auteur qui insiste plus loin dans un fameux « autoportrait » : « Je suis une fille / qui aime / dormir parfois / la tête renversée sur un grand pot en terre... /.../ Seulement le grand pot en terre, / vous ne le voyez pas. / Et vous ne vous souvenez même pas du potier, / même pas... » Dans ces poèmes, « il pleut à volonté », « la traîne de la pluie / court vers le sud », cette pluie « tardive et continue » qui établit le lien entre la création ici-bas et son créateur. L'eau, élément central sans lequel la vie est impossible, qui diffuse dans tous les éléments, source de plénitude et de réconfort. « Tu ressembles / à un corbeau crépusculaire et solitaire » puisqu'il faut tendre « vers un monde invisible d'oiseaux », vers le point de jonction que le poète recherche avec insistance. « Je fleuris le matin dans le champs », « l'esprit des herbes / venait dans mes songes », c'est l'esprit et le corps tout entier qui sont assimilés à la nature. Qui est la « demoiselle » dans tout cela ? Eh bien, elle est à la fois herbe, oiseau, pluie, papillon, forêt et rivière. Mais elle est aussi ange, fille, enfant, poète ! « Je reviens chez moi la nuit / et toutes les feuilles m'attendent », le poète semble avoir trouvé sa maison : « Il fait nuit. / Le château s'est replié dans ses couloirs ». Et la vie ne serait-elle pas un rêve, elle qui fait de la « demoiselle » elle et plus qu'elle à la fois ?
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"Gyrophares", Jacques Canut
Jacques Canut auto-édite depuis 1993 ses « Carnets confidentiels ». « Gyrophares » en est le vingt-troisième numéro. « Gyrophares » comme « alerte », « appel au secours » mais aussi comme « élément fugitif et répétitif ». « J'ai des idées gyrophares » affirme le poète. Tout le recueil oscille dans cette mélancolie, entre pulsion de vie (« l'azur flotte / sur l'aile assoupie / des parasols. ») et pulsion de mort (« Déconcertante détresse / du chanteur des rues »). L'être se trouve dans cette position mélancolique où « [il] flotte dans les habits / du froid / entre le scalpel de l'étoile polaire / et la plantigrade silhouette / d'un iceberg. » Alors que « béats, les objets regardent », le poète ne se trouve-t-il pas dans ces « amorces d'une solution qui élucide / les énigmes / fatidiquement humaines ? » Et la Terre ne serait-elle pas cette « carte postale sur présentoir / tournant » ? elle qui abrite le pire comme le meilleur. De même, si « les sommets orchestrent / les résonances du couchant », un peu plus loin « aux marges de l'infini / un refuge veille / rayonnant comme soleil de minuit. » C'est afin de se sortir de cette récurrente contradiction que le poète décide de choisir la vie : « Un nom sans adresse ni numéro / de téléphone / dans une métropole adossée / aux vierges immensités / du globe. » et dans laquelle il décide de « aux carrefours / choisir la voie étrange ». Si ce qu'il produit est son miroir, s'il est capable de tous les désespoirs, s'il peut être l'objet d'un élan plein de vie, « au Sud, / flambant avant de s'évanouir, / le désert ébauche / des sierras salubres ». C'est cette condition humaine que représente le poète, dans laquelle il appelle de ses vœux à la construction d'une vie meilleure. « Gyrophares » porte à la fois l'alerte et le secours, il dit simplement qu'au cœur du désespoir ou de la mélancolie, la part d'ombre en l'homme est aussi sa propre lumière. Si la vie est aussi brève qu'une étincelle, l'énergie que nous mettons afin de la rendre meilleure est sans limites.
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Une énigme de Magritte
Je voudrais vous faire part de ce sentiment étrange qui nous habite parfois : celui qu'il est difficile voire impossible de s'extraire de notre propre interprétation du monde. L'homme est engagé dans une aventure où, inconsciemment, il prend ce qu'il projette pour la réalité. Or tout ce que l'on ressent vient d'un lieu intérieur, d'une histoire, on pourrait dire aussi d'une impossibilité à inventer en soi un autre monde. Bref, apprécier un paysage de bord de mer, écouter une chanson ou voter aux Présidentielles c'est être dupe d'une formidable hallucination ! Difficile aussi de regarder une chose sans que la machine à interpréter se mette en route ! Il faut s'être débarrassé de soi avec une telle force pour oser comprendre profondément quelque chose ! Se regarder de haut, vouloir se saisir entièrement est une course sans fin. La poésie est interprétation. S'affranchir de tout, voir, saisir même une vérité, c'est encore par le même processus jouer à la loi de l'interprétation. On ne sort pas de ce cercle, pas ici, pas sur terre en tout cas. Dans de nombreux tableaux de René Magritte*, on retrouve la présence du rideau. Magritte s'amuse à confondre ses toiles avec le réel, joue avec cette ambivalence entre le sujet et sa représentation. Face à ces toiles, le rideau rappelle que nous sommes en peinture, qu'il s'agit avant tout d'une vision du peintre, reprise par le spectateur. Il en est ainsi dans "Décalcomanie" où l'homme de gauche (Magritte lui-même) semble avoir été découpé dans les plis du rideau, or l'observation montre qu'il n'en est rien : un élément trahit le subterfuge. Il en est ainsi dans "Le Beau Monde" où le peintre reprend son expression : "Je pouvais voir le monde comme s'il était un rideau placé devant mes yeux." Il en est de même dans "Les Fleurs du mal" où la représentation de la femme reste à jamais énigmatique comme une statue de glaise. Comme de nombreux autres éléments, Magritte reprend souvent ce thème du rideau. Il est non seulement le symbole de la peinture, mais aussi celui que toute représentation sera toujours en décalage par rapport à la réalité : une théorie, un tableau, un sentiment seront toujours des images, aussi fidèles soient-elles, de la réalité. Alors peut-on réellement connaître une chose ? Peut-on définitivement s'affranchir de la représentation, de la subjectivité ? Je pense personnellement que si, à force de travail, on puisse parvenir à établir quelques vérités, toute explication sera toujours aussi mystérieuse que cette réalité. La poésie comme la peinture se nourriront toujours de rêves infinis, tout comme des énigmes et des mystères qui habitent ce monde.
*René Magritte (peintre) : 1898 - 1967
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