Je ne peux me résoudre au silence, encore une fois. Puisque entre deux publicités pour les yoghourts, on réussit quand même un peu à voir ce qui se passe ailleurs dans le monde, de nouveau ces images apparaissent, obsédantes, du type à vous donner la nausée, et à vous demander vraiment : - où, dans quel monde vivons-nous ? Il y a un tel contraste entre ce spectacle effroyable et ces paillettes dans lesquels nous baignons ! Et pourquoi fermer les yeux, changer de chaîne ? Alors que la réalité est là, toujours plus oppressante. Certes, oui, cela dérange, cela met mal à l'aise. Mais pourquoi fermer les yeux sur la réalité ? Puisqu'on nous en propose, l'espace d'un instant, un extrait fugitif et volé à l'inconscience des autres. Un homme, plusieurs, roués de coups, passés à tabac par des militaires âgés de vingt ans et abrutis d'antidépresseurs, consciencieusement mis à l'écart contre un mur et matraqués à mort, les membres brisés, quelque part dans le monde... Et puis, changer de chaîne, se taper un éternel jeu télévisé, une énième télé-réalité... un énième feuilleton. Normal de ne pas vouloir voir ça. Normal d'être dérangé par sa propre cécité, par son propre train-train, par ses petites habitudes. Journal télévisé, guerre, torture, massacre, puis tirage du loto, météo, magazine. Bonne conscience, bonheur : le monde va bien, tourne bien, tous les jours à la même vitesse. C'est juste un homme, battu à mort à l'autre bout du monde. Et puis, on tombe sur un autre scandale, une autre révélation de ce bout du monde. Et ça dure. Révélations, chiffres officieux, excuses officielles. On apprend le phosphore blanc, les fusillades, les entreprises de pacification. Et puisque tout cela dérange peut-être un peu on enterre, on oublie, on rationalise. Alors qu'il n'y a rien à comprendre, que c'est encore l'homme dans ce qu'il sait faire de mieux, la guerre, la souffrance, la haine. Alors, on soulève le voile, les affaires, les scandales. On retrouve la haine des discours, l'incompréhension entre les civilisations, la violence du voisin, celle du silence. On se cache derrière une énième guerre des civilisations, un autre épisode de l'Histoire, un autre mauvais moment à passer. On se résigne à une autre guerre, qui se fera loin, très loin. Tout est loin, derrière les antennes, à des milliers de kilomètres de nos murs. Tout se passe dans des névroses, dans la peur de l'apocalypse. La guerre est là parce qu'on n'est pas capable de vivre ensemble, de faire la paix, de se parler, de se comprendre. Ca tourne dans les journaux, entre deux publicités, avant un énième feuilleton, un autre jeu télévisé.
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"Enigmes", Jacques Canut
Je me souviens des cours de Français et des devoirs où il fallait décortiquer des poèmes selon des règles pré-définies par le professeur. L'étude des rimes, du vocabulaire, de la syntaxe... se mêlait à une analyse de l'atmosphère du poème, de son intention, de sa nouveauté. C'est ainsi que je suis entré dans le poème "L'Horloge" de Baudelaire, qui constitua mon premier choc poétique. Et comme le temps passe et que beaucoup de choses demeurent, me voici encore comme un élève à tâcher de saisir le mystère, le sens caché, la clef dans les poèmes que je lis. Pourquoi pas ? Mais quand même, il y a dans le poème ce que l'on ne peut définir, ce qui est palpable uniquement par un ressenti étrange qui vous amène dans une sorte de communion. Lire "Enigmes" de Jacques Canut, c'est un peu tout ça. Avec un texte aussi puissant, on reproduit les mécanismes de l'analyse, on tente de percer le voile, un mot, un vers soudain prend sens, devient limpide, l'impression est évidente. Subjectivité de soi, de son parcours, de son ressenti. Et si l'attention, la sensation, la "trouvaille" disparaissent, il y a toujours un flottement, puis une résurgence, la sensation apparaît à nouveau. Si la vie est comme "un parcours jalonné / de questions sans réponses", le poète lui en connaît quelques-unes, mieux, il les dilapide généreusement à qui veut bien l'entendre. Tentative de sortir du chaos, de l'absurde sans nom. Il s'agit de "dissiper les nuages / du cœur", de transmettre, de donner. Le poème "ailes de papillon" ? Oui, et bien plus encore. Si « Enigmes » explore des domaines aussi différents que l'écriture, la sensualité, l'absurde, il y a toujours au cœur de ces vers saisissants de sens dévoilé un mystère, une déchirure. Le poète voit, transmet, se soumet aux énigmes. Il est langage, élan, plénitude. Puis soudain tombe dans le néant. Qu'écrire sinon le reflet d'une vérité puisée dans les constellations ? A quel travail étrange destiner son esprit ? Ne s'agit-il pas de "cueillir l'étoile filante", de capturer dans son filet un sens, une logique, une permanence ? Le poète croit, se donne corps et âme. Que peut-il nous transmettre sinon la magie de son esprit, en défiant notre propre absurdité, nos murs internes ? Marchant "sur un chemin qui conduit / à la mort", il est l'ultime voleur, celui qui tirera du sommeil l'étincelle. Si le poète se demande "Quelle fut la finalité / de son (mon) existence ?" c'est que lui seul en dernier recours peut donner un sens, même infime, à l'absurde. C'est ainsi qu'il peut dire : "Je vais ailleurs, au-delà, / attiré par les énigmes / que nul ne sut / élucider." "Enigmes" de Jacques Canut nous convie au mystère de ce que nous nommons communément "le monde", il est aussi un éclairage singulier sur cette activité : la poésie.
Editions Calamo, 2005
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RéÉvolution poétique
Je n'ai pas pour habitude de cracher sur les livres disponibles en rayon de supermarché, ne lisant pas les récits de monsieur X ou Y ni les livres de cuisine, très rarement les romans, tous ceux-ci, de forte qualité de surcroît, obtiennent grâce à mes yeux. Mais quel lecteur pourrait se contenter d'être borgne et ne pas agrémenter ses lectures habituelles de quelques distractions bienvenues, histoire de ne pas finir idiot ou en vue de répondre d'une façon moyenne bien que fermement aux nombreux jeux culturels présentés à la télévision, dont les buts sont de vous faire gagner de l'argent ? Bref, lire est un pouvoir, et choisir sa lecture un privilège. Mais si vous en avez assez de la soupe médiatique et des éternelles émissions destinées à vous endormir l'esprit, si un sentiment de révolte vous agite, sans que vous sachiez pourtant bien clairement d'où il vienne, et si vous ressentez un désir pressant de dynamiter quelques groupes devenus holdingues tels que Editis ou autre Lagardère, si la dure loi de la presse vous oppresse au point de vous donner des cauchemars, alors voici une suggestion toute prête en vue de vous défouler un peu : Le collectif RéEvolution Poétique appelle, à l'occasion de la Foire du Livre de Bruxelles, du 14 au 19 février 2006, à une manifestation active de « parasitage » en règle. Photocopiez, imprimez ou recopiez vos pages favorites et insérez-les dans les pages d'autres ouvrages : vous aurez ainsi contribué au vu et su de tout le monde à un attentat poétique flagrant. Evidemment, il y aura toujours des grincheux pour trouver cela de mauvais goût. D'autant que RéEvolution Poétique n'en est pas à son coup d'essai : bombardement poétique à Gênes le 29 juin 2002, attentat poétique du 11 septembre 2003... autant d'actions qui connurent un grand succès mondial suivant le principe simple de "libérer un livre" aux quatre coins de la planète : Belgique, France, Italie, Espagne, Portugal, Israël, Liban, Brésil, Colombie, Mexique, Usa, Ukraine, Grande Bretagne, Canada, Argentine, Chili, Tchéquie, Pays-Bas, Suède, Russie, Algérie, Maroc... Je trouve cela plutôt bien. Si un des buts de RéEvolution Poétique est bien de faire sauter les verrous entre genres littéraires, entre idées dominantes et marginales, entre civilisations, en vue d'une réconciliation généralisée, alors oui ce nouveau rendez-vous annoncé ne peut être que facteur de paix. Il convient de dynamiter les verrous de l'intolérance, du racisme lattent et de l'incompréhension. Parce qu'il n'y a pas de fatalité des peuples et de la haine entre eux, parce que tout doit revenir à une échelle humaine, changer la vie, RéEvotutionner les consciences ici et maintenant est plus que jamais urgent. Les morts et la souffrance ne sont pas ailleurs mais ici. Ce que l'on fait ici nous engage à chaque instant de la vie. Ce ne sont pas les frontières ni la distance qui protègent. La haine aussi voyage à vitesse de la lumière. Les solutions ne seront jamais toutes faites et ne s'imposeront pas comme du prêt à porter. C'est notre capacité à la réconciliation de tous les frères humains qui est aujourd'hui en jeu. Las des bombes, des attentats suicides, las de la misère des populations et de la pauvreté galopante. Marre de la connerie des voisins fascistes, marre de tourner en rond. Oeil pour oeil, dent pour dent, marre ! Marre d'étouffer la différence. Luttons pour que les barrières sautent entre les civilisations, entre les hommes. Ce que nous voulons, c'est la paix, et non la guerre, la solidarité et non l'indifférence, l'amour et non la haine. Tout ce qui est étouffé, ce qui pourrit au fond de la conscience, au fond des cités, ce qui ne respire plus ici ou ailleurs forme le terreau du véritable terrorisme. La poésie est une forme active de lutte contre tous les extrémismes, pour une vie plus humaine. Il est urgent d'entendre son message, urgent de faire sauter les verrous entre les cultures, urgent de prendre la parole. Urgent d'inventer un avenir pour les hommes.
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