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Art

  • L’œil du silence, Max Ernst

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    En 1944, à Auschwitz, le ciel resta silencieux. Croyez-vous qu'un jour, un être puisse revenir ? Il lui faudrait quoi ? Un autre massacre anthropophage ? Dans ce tableau, Max Ernst* nous donne la vision d'une apocalypse effroyable, une autre, pas la dernière. L'œil garde le silence comme le ciel, comme les portes sur les secrets, comme notre condition d'hommes désabusés et jetés dans les ténèbres. Gardez en tête cette vision de la monstruosité, pour ne plus garder le silence ; le néant et l'absurde nous doivent bien ça. Des immeubles tombés, des corps décharnés, femmes et enfants éventrés, c'est le quotidien du monde, c'est notre réalité d'Homo sapiens devenus fous. Pendant que nous paradons, que nous dansons, pendant que nos images sont polies, que notre quotidien est aseptisé... et dans cette musique aveugle, nous ne voyons plus ! La voyance n'était autre chose que cette posture face au monde, cette faculté à s'en remettre à l'intelligence du regard. Elle qui a porté tant d'hommes ! Alors, qu'est-ce qu'écrire ou peindre, qu'est-ce qu'un tableau, un poème, sinon une tentative d'affûter notre regard sur des réalités qui nous gouvernent ? C'est notre état de liberté conditionnelle qui nous permet de saisir ce qu'est l'enfermement, la douleur. C'est cette liberté que nous avons encore qui nous permet de distinguer le bien et le mal. Elle est un don qui nous est alloué, que nous utilisons à des fins révolutionnaires. Cette liberté de la parole est ce qui nous distingue de l'ombre. Elle est encore ce qui porte la lumière. Pourquoi un poème, un tableau, sinon pour dire, témoigner, rompre le silence, éclairer des zones sombres où nous ne distinguerions pas le malheur ? Plus que jamais, le silence est coupable, plus que jamais, il convient de décrire, déchiffrer. Pour avoir droit au silence, il faut avoir percé, mis à jour ce qui est tu, dissimulé, caché. Etre attentif. Qualité première de celui qui se donne pour mission d'éclairer un peu le monde. Alors, certes, il faudra partir, se résigner à la cécité. Mais avec cette certitude chèrement acquise du regard affûté, capable de dessiner, raconter, traduire. Mots, formes et couleurs sont les armes de celui qui ne se résigne pas au silence. Ce sont des armes capables de métamorphoser le monde.

     * Max Ernst (peintre) : 1891 - 1976

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  • La Mort de Sardanapale

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    En disant : « Tout est sujet », Eugène Delacroix* signifie-t-il que tout est susceptible de devenir un tableau ? Ce qui compte, en définitive, c'est bien la façon dont on arrange tous les éléments afin de signer une œuvre personnelle. La peinture de Delacroix s'affranchit largement des critères classiques. Il n'est qu'à regarder la « Chasse aux lions » et son déploiement de formes et de couleurs. On peut aussi regarder « La Mort de Sardanapale » et ses défauts de perspective et ressentir la tension palpable entre les différents éléments pour y trouver les prémices de futurs mouvements. Lui qui disait aussi : « La nature est un vaste dictionnaire. Les peintres qui obéissent à l'imagination cherchent dans leur dictionnaire les éléments qui s'accommodent à leur conception... Ceux qui n'ont pas d'imagination copient le dictionnaire » savait parfaitement conjuguer les images et leurs symboles pour en faire des fresques historiques, mythologiques ou sociales. Le signe chez Delacroix devient arme révolutionnaire qui fait de l'œuvre peinte un réceptacle de tensions. Si la poésie aujourd'hui reconnaît l'importance de ces signes, qu'ils soient valeurs, engagements ou actes, ne lui reste-t-elle pas à s'emparer à son tour de cette réalité de sujets qui nous tendent les bras ? Tout est susceptible de prendre sens et de se charger de significations. Des mouvements comme le Romantisme ou le Surréalisme se sont chargés de défendre leurs propres recherches et ont donné à la poésie des armes redoutables que l'on continue d'utiliser. Je pense que beaucoup de malheurs et de tragédies aujourd'hui sont dus au manque flagrant de parole au sein de la société. Nous avons droit à l'image aseptisée, à la vitesse de l'information, au spectacle, mais avons-nous vraiment intégré dans nos agendas tout ce qui se devrait d'être retenu et étudié avec soins ? Et cette réalité - ce sens du langage - me paraît être sociale. Oui, la poésie est ce qu'elle veut, elle est libre, affranchie. Mais face à cette déferlante de pornographie et d'horreurs, elle aussi souffre du manque patent et pathologique de significations. Or, quels liens sont plus à même de recentrer l'attention divertie sinon de forts sursauts et de nouveaux mouvements sociaux ? La société offre tous les moyens d'information, de culture et de combat : cinémas, journaux, télévision, radio, musées et maintenant la venue d'Internet permettent à cette information de se démultiplier. Ne manque-t-il pas que la possibilité pour les voix nombreuses d'être enfin entendues ? Une phrase peut faire le tour du monde en quelques minutes, et pourtant partout combien sont les cris qui ne sont jamais entendus ? Qu'on ne me dise pas que la plus grande partie des malheurs n'est pas renforcée par ce silence retentissant ! Au final, qu'est-ce qui nous distingue de ces temps de Delacroix, d'Ingres et des Romantiques sinon la perte tragique d'une esthétique qui peut-être n'a jamais été ? Qu'est-ce qui nous éloigne de ces temps des philosophes, des écrivains et des poètes sinon l'impossibilité de voir son message relayé ? A l'heure de la vitesse instantanée et des communications satellites, ne manquent plus que l'envie et la possibilité de pouvoir s'exprimer.

     *Eugène Delacroix (peintre) : 1798 - 1863

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  • Blanc sur blanc, Kazimir Malévitch

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    Plongez du regard dans cette toile (celle-ci n'est pas accrochée au plafond) et posez-vous la question : Pourquoi le peintre a-t-il fait figurer un carré blanc sur un fond blanc ? L'énigme est entière et dépasse les frontières de l'Art. Peut-être est-ce que nous ne maîtrisons jamais ce que la Nature peut créer, et ce mystère, en peinture, prend la dimension d'une forme géométrique, interrogative à l'endroit de notre incrédule impuissance à comprendre le monde. Alors, le peintre fait ce qu'il sait faire, il fait sauter les verrous de l'incompréhension, propose une image brute, énigmatique, dépourvue de toute clef, laissant le spectateur face à son désarroi et à son ignorance. Toute notre vie, nous ne faisons qu'interpréter la plupart du temps un monde correspondant à notre quotidien, nous colorons des astres, nous distillons les discours, passant de la larve à des schémas de pensée sensés illustrer notre intelligence. Au bout du compte, nos certitudes se perdent, en attendant une mort à laquelle nous donnons la mission d'éclairer notre néant. L'esprit répond tant bien que mal à quelques questions. Nous comprenons le miracle de la vie quand il défie toutes nos interprétations. Qu'a voulu faire Kazimir Malévitch* en peignant ses formes géométriques, croix, carrés noirs sur fond blanc, puis blanc sur blanc ? Un autre artiste dispose à notre regard une toile vierge de toute intervention ! Est-ce la fin ou le début de l'Art ? Au final, nous sommes rendus à l'ignorance qui est la nôtre à tout moment de la vie. Les portes de la perception s'ouvrent ou se ferment à chaque pas. Malévitch a-t-il voulu dire que nous resterons à jamais muets face à ce monde, perdus dans nos interprétations, ou que désormais nulle limite n'entravera la naissance de l'esprit par l'Art ? Et puis, quelle interprétation est la plus apte ? Ne doit-on pas quitter toute tentative d'éclaircissement et se laisser rêver à un état exempt d'images, de mots, de sens ? Le monde brut serait alors par magie sous nos yeux, ce monde exacerbé dans nos rêves dont nous ne faisons que traquer l'inaccessible dimension. Le « Carré blanc sur fond blanc » de Malévitch est peut-être le rêve initiateur d'une angoisse métaphysique puisant ses racines dans le tragique d'un siècle sanglant et absurde dont l'horizon se serait éteint au fond d'un tableau monochrome.

     *Kazimir Malévitch (peintre) : 1878 - 1935

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