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Réflexions

  • La terre ne tourne pas rond

    La poésie est ce qui compte le plus, se dit le poète. Malheureusement elle est méprisée par le plus grand nombre. C’est un doux euphémisme. Les gens n’en ont rien à foutre de vos poèmes ! Pour certains, vivre sans poésie est impossible… Ils se foutent bien de votre gueule les FNAC, les Leclerc… Il n’y a qu’Amazon pour rafler le marché ! Les petits, les moyens luttent pour survivre, ça ce n’est pas exagéré ! Alors, nous sommes entrés en résistance. Pour ne pas mourir tout simplement. La poésie ne se vend pas… Vous voulez faire quoi avec ça ? Oui, les gens nous méprisent, nous asphyxient. Jadis, on faisait sauter des ponts… Aujourd’hui c’est vous le saboteur. Ils ont bien compris notre dangerosité. Ils savent bien que nous sommes une menace. Le marché se relève toujours ; le poète crève dans son trou. Rira bien qui crèvera le premier ! « Deux trous rouges au côté droit… » (Rimbaud) Je n’ai pourtant pas le sentiment d’être néfaste à la société… Je suis tout à fait normal, équilibré ! C’est ça qui leur fait peur, à ceux qui sont assis, qu’un jour la poésie prenne le pouvoir. Je rêve d’une révolution où les hommes auront la tête à l’envers. Où pour se raccrocher, il faudra saisir les plus fortes branches. La liberté fait peur. La nouveauté nous angoisse. Il n’y a que le marché, la consommation qui compte. Là tout est connu, figé, rassurant. Vos poèmes sont dangereux car ils remettent en cause un pouvoir que chacun croit posséder : celui de dépenser son argent, de produire, de vendre. La poésie est l’antithèse de tout cela. Elle remet en cause nos certitudes, sa liberté infinie fait de nous des apatrides. Car celui qui n’a pas d’appartenance est libre. Libre de rêver, de dire, de dénoncer, d’espérer, de combattre, de s’insurger, de croire à un monde meilleur et à l’avènement de la bonté de l’homme. Alors, vraiment, le poète n’appartient à personne. C’est cela son plus fabuleux trésor. La poésie n’est pas une nationalité. Elle est l’expression de l’indépendance de l’esprit face à tous les totalitarismes. Dangereuse, elle meurt. Libre, elle espère. La terre ne tourne pas rond.

  • Rédaction

    « Il y a une espèce de honte d’être heureux à la vue de certaines misères », a écrit La Bruyère. Avez-vous déjà éprouvé ce sentiment ? Dites avec précision dans quelles circonstances, en face de quelles souffrances physiques ou morales. Quelle attitude, selon vous, devrait-on avoir et quelles actions pourrait-on envisager face à la misère des autres ?

    Sujet du 25 novembre 1988, classe de Troisième 1

  • Le poète est-il dangereux pour la société ?

    Les banderoles dans la rue, les manifestations, tout cela fait la une des journaux. Tout le monde en parle. S’il est bien une chose dont on ne parle pas, c’est de la poésie. Pourquoi d’ailleurs devrait-elle s’inviter sur les plateaux ? La poésie ne fait pas partie de l’actualité. Elle paraît bien pâle, bien inoffensive face aux grenades, aux gaz lacrymogènes. La contestation se fait de plus en plus pressante, alors que la parole révolutionnaire semble discréditée par la violence et l’anarchie des mouvements sociaux. La revendication a-t-elle un avenir dans une société basée sur le profit économique ? Les lois du marché ne sont-elles pas inaliénables, incontournables ? Tout contestataire apparaît comme un ennemi du système capitaliste, toute velléité est écrasée dans l’œuf par la marche des puissants. Renverser le système semble impossible. Aurait-on intérêt d’ailleurs à tout casser ? La colère n’occulte-t-elle pas la raison, la violence n’empêche-t-elle pas le débat ? Le peuple français est en colère. Pour des raisons inconscientes, matérialistes, financières. Je ne sais pas ce que les Français recherchent. J’entends les mouvements, les cris… Ne se détourne-t-on pas de ce que l’on dénonce ? Les politiques voudraient nous faire rentrer dans le rang, pour que les marchés, les transactions continuent ; ne sommes-nous pas aussi tels des moutons ? La complexité de l’économie mondialisée n’interdirait-elle pas le chaos ? Ne faut-il pas tout réorganiser, tout débattre, tout remettre en cause, sans pour autant tout casser ? Le peuple français ne rêve plus. Le peuple a mauvais sommeil. Alors que le poète se noie dans l’idéalisme, tout semble bouclé, obstrué, cadenassé. Toute revendication est assimilée à un désordre, toute velléité fait de vous un ennemi du système. On vous demande toujours de faire plus pour la société, de vous saigner aux quatre veines… Et c’est bien naturel, car vous feriez tout pour votre patrie ! Dans cette mondialisation effrénée, qu’est-ce qui est important ? J’entends des voix. J’entends The Voice le samedi soir sur TF1. Je vois les bateaux que l’on construit à Saint-Nazaire. Je vois ce joueur de football qui gagne des millions d’euros chaque mois et qui se dresse comme un exemple pour la jeunesse. Je vois ces milliardaires sur leur île. Je vois la misère de tant de peuples. Il est naïf, voire enfantin de s’élever contre les désordres de ce monde. La révolte adolescente sert de base à l’âge adulte. « Construire un monde meilleur… » vous y croyez ? Ne faudrait-il pas plutôt se résigner, accepter l’inacceptable ? Oui, chacun mène une effroyable quête. Allons, n’est-il pas ridicule d’être indigné par tout ? N’est-ce pas puéril ? La société ne rit-elle pas face à votre naïveté ? Se détourner du monde, ne vivre que sa propre vie, ne pas entendre les oiseaux de malheur… Allons, vous êtes tombé poète à dix-sept ans ! Il n’est pas question de renoncer à votre combat poétique ! Mais quel est-il ce combat ? N’est-ce pas simplement cette résistance contre la monstruosité, la violence sociale de ce monde ? Ou simplement l’indignation qui vous anime au quotidien ? On pourra méditer sur ce qu’est la poésie aujourd’hui. Elle est personnelle, protéiforme… Elle tend à s’emparer de ce monde, à prendre à bras le corps les questions de société, à rendre compte du quotidien le plus immédiat ou à explorer des dimensions philosophiques. Le poète est chacun de nous. Il n’y a plus d’écoles, plus de courants ! Chacun est libre d’apporter au monde sa propre pierre. C’est proprement avoir les yeux fermés, sans tâcher jamais de les ouvrir, que de vivre sans poésie (pour reprendre la formule de Descartes) ! Et le poète lui-même doit donner l’exemple. Car nous croyons à la poésie qui nous aide à gouverner notre vie. Nous croyons à la parole poétique face aux rouleaux compresseurs de la politique et des économistes. Il n’y aura pas de révolution poétique. Il n’y aura que des hommes et des femmes qui tenteront d’améliorer le quotidien. Dommage pour nous, pour nos idéaux, nos rêves adolescents. Nos revues, nos recueils continueront à être diffusés sous le manteau. Et un jour, on se demandera peut-être : le poète est-il dangereux pour la société ?