Vous êtes au chômage, vous vous êtes fait renvoyer de votre entreprise à cause de votre tempérament révolutionnaire, vous êtes maintenant à la rue car les loyers sont trop chers, vous n'avez pas économisé à la Caisse d'Epargne et vous êtes sans aucune chance de retrouver un travail, cette solution est pour vous ! Venez jouer à "Qui veut gagner des millions?" Jean-Pierre est un type sympa qui saura vous étonner et révéler en vous le futur héros, la future vedette qui atteindra le million au terme d'une bataille frénétique qui entrera dans les annales de la télévision. Oubliez vos banderoles cousues dans les draps de maman, enfilez votre cravate, ayez un moment l'air PDG, dans l'air du temps, votre culture générale va faire de vous un millionnaire ! Pas compliqué : répondez aux questions vachement complexes de notre père télévisuel à tous et dégagez vos adversaires en poussant comme un malade le buzzer et les touches de votre écran tactile. Vous, le livreur de pizza, l'employé des PTT, le smicard vous allez enfin vivre la grande vie grâce à l'écran de votre télévision. Ah! Les vacances au soleil, les parties de "beach ball", la drague dans les plus belles îles de l'océan Pacifique... Fini les petits boulots, l'angoisse de la retraite, fini les allées et venues à l'ANPE, fini la voiture qui ne démarre pas et les doigts gelés le matin en hiver, fini d'angoisser pour boucler les fins de mois... les doigts de pieds en éventail, pénard ! C'est vrai, que peut-on attendre de la télévision sinon d'y gagner un peu de pognon, en y faisant comme tout le monde, la queue pour jouer à "Qui veut gagner des millions" ? Ben, je sais pas. Moi, je me régale de mes séries américaines et de mes feuilletons français, je me nourris de pubs, je me délecte des infos de Jean-Pierre Pernaut, je me réjouis d'être au courant de rien sur rien, je me réjouis quand le haut-parleur couvre les bruits de la mobylette qui démarre en bas de chez moi... Je me réjouis que mes voisins soient incultes, je serai le seul à gagner des millions ! Le pire, ça n'est pas que le monde va mal, que la société angoisse de son avenir, c'est que tout simplement les gens soient tous pareils à vouloir gagner des millions.
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Ici é là n°4
Tant qu'il y aura des questions, il y aura de la poésie. C'est dire si cette entreprise de verbalisation de la pensée durera longtemps. La nécessité de la poésie m'apparaît de plus en plus sociale, elle oriente non seulement les pas du marcheur sur le chemin réel qu'est la vie dans ce monde mais elle porte aussi l'individu dans son rapport avec les questions existentielles du sens et de l'être. Quel terrain extraordinaire que ce passage fugitif dans l'existence ! Quelle chance que la richesse et la beauté de ce monde ! Plus que jamais nous avons besoin d'être des rêveurs éveillés. Le poète doit s'approprier le monde ! La pensée doit se faire entendre de façon à ne plus être ensevelie sous le silence et la barbarie. La poésie est sociale ! Mais elle est aussi la métaphysique : au service du questionnement essentiel. Bien sûr, la poésie est ce qu'elle veut, elle ne se laisse pas cloisonner, elle diffuse à travers les mailles de nos filets. Des réponses ? L'homme en cherche et en cherchera toujours ! Mais quoi ! L'actualité est triste, le monde est tragique ! Oui, nous avons besoin plus que jamais d'intelligence. Il est plus qu'urgent de prendre la parole. Rien n'est pire que le silence. La poésie doit vivre car elle brise le silence. Dans ici é là, Laurent Bourdelas nous dit pourtant : " J'écris pour rien / même pas pour m'amuser / J'écris, cela ne sert à rien / je fais des petits bonds sur la page et dans ma vie / pas des sauts-de-loup, des petits bons vers la fin / qui m'éloignent des bonbons et de maman". Oui, la poésie comme domaine est une impuissance. La fatalité du réel dépasse toutes les petites explications et l'inexorable énigme de la vie brise toutes les certitudes, n'en sera-t-il pas ainsi jusqu'à la fin des temps ? Pourtant rien ne nous empêche de prendre la parole, ici et maintenant. Insoluble mystère et infinie question. Liberté et spontanéité de la parole. Dans " La voix", Serge Delaive nous dit : "En fait / je ne suis jamais parti / J'étais ici / comme chaque jour." Oui, pour la poésie, tout est bien ici, il s'agit de chercher et de découvrir, d'oser franchir le pas. " Des questions il y en a, jusqu'à la nuit trop souvent, des questions à ouvrir les yeux", nous dit Ariane Dreyfus. Plus loin, Mahmoud Chalbi écrit : "Et, dans la joie, tu produis, tu fais, tu crées... sans te ramasser... te retrouver... en manque !" Oui, l'homme sera toujours en manque de réponses et avide de satisfactions. Au poète de consumer la flamme qui le rapprochera de la vie.
Il me semble de plus en plus que la poésie est sociale. Elle est aussi la vie. La revue ici é là nous donne l'occasion de lire une poésie multiculturelle, sans chapelle, attentive à la diversité de voix nombreuses. Si la poésie va mal dans sa relation avec le public, c'est qu'elle souffre d'une incompréhension totale. Quel terrain aujourd'hui pourrait lui permettre de se développer ? Les salons, les manifestations ne suffisent qu'à l'entretenir. Quelle richesse pourtant ! ici é là en est à son numéro 4, tirée à 500 exemplaires, elle est un acteur bien vivant et actif dans son domaine. Revue de la maison de la Poésie de Saint-Quentin-en-Yvelines, elle est de celles qui font vivre le paysage culturel, un exemple d'action social. Lire ses pages, se laisser émouvoir et aller à la réflexion, c'est en quelque sorte signer un pacte, parier sur le pouvoir subversif de la pensée. Composée d'une partie création, d'un dossier (ici les Poètes tunisiens d'expression française), d'articles et de notes, magnifiquement mise en page et illustrée, elle est une incitation à se surpasser dans notre vie. La poésie n'est pas grand chose, ce n'est pas un métier, à la rigueur un artisanat, mais pour quelques personnes elle est tout, elle englobe le monde, l'accueille dans ses moindres contradictions. Tout juste est-ce un mirage dans le désert, un sommaire, un article, une envie de briser les carreaux et de s'envoler.
Au sommaire de ici é là n°4 : Images ė mots : Serge Delaive, Marc Giai-Miniet, Laurent Bourdelas, Ariane Dreyfus, Patrick Joquel, Nicolas Gille ; Si près ė si loin : Un parcours tunisien : Hédi Bouraoui, Tahar Bekri, Youssef Rzouga, Slaheddine Haddad, Amina Saïd, Marianne Catzaras, Mahmoud Chalbi, Aymen Hacen. Dessus ė dessous : 20 ans de Cadex, De retour de Trois-Rivières, Les éditions Eclats d'encre, Hommage à Lewigue, Danse à l'école, Un poète, un artiste, un livre, Poésies sur le territoire, un aperçu ; Ecoute ė note : recension et programmation.
ici é là : La Maison de la Poésie. 10, pl. Pierre Bérégovoy. 78280 Guyancourt. 10 euros
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Passe à la caisse !
Visite hebdomadaire au supermarché près de chez moi, un vaisseau spatial noyé de néons avec quelques extra-terrestres tout verts dotés d'étranges machines qui font circuler de tout aussi étranges marchandises : des caissières et leurs tapis roulants en somme ! Je me suis particulièrement intéressé aux mœurs d'un manège dont je me demande encore comment il peut être mené avec tant de patience et de courage. Moi j'enverrais très vite balader le fer à repasser mais là non... l'employé modèle passe et repasse des milliers de fois son bidule qui fait de la vapeur avec une application exemplaire ! Bravo ! J'admire ! Un travail difficile. On appelle ça la précarité. Bien qu'il soit tout à fait concevable que ce manège soit effectué durant bien des années avec autant d'insistance : on appelle ça un CDI ! Dans mon supermarché préféré, il y avait aussi une vendeuse au rayon des légumes qui avait l'air de s'ennuyer ferme. Là, je comprends bien qu'il n'y ait rien de très excitant à vendre des salades, même si certains font pour cela de grandes études, et quel courage faut-il pour tenir face à la ménagère râleuse poussant son caddie ! Un acte d'héroïsme que de tenir une demie-journée. Bravo ! Cela mériterait tous les honneurs d'un ministre, CPE ou pas CPE on ne badine pas avec le courage des employés modèles engagés dans la difficile lutte face à la précarité de l'emploi. Un supermarché nous donne un exemple de vie, chacun défend ses privilèges, les avancées sociales difficilement acquises au prix de douloureuses luttes ! Toute la vie est là, dans les rayons, qui circule, s'agite, brandit ses pancartes et ses banderoles jusqu'à l'autre bout du monde. Qu'est-ce qu'un million d'individus poussant des cris, épris de révolte et de liberté face au pouvoir angoissant du capitalisme ? Puisqu'il s'agit de sauver sa peau, de gagner son salaire à la sueur de son front ! Ne s'agit-il pas de donner plus d'attention à toutes les personnes victimes d'exclusion sociale ou économique ? De donner la parole au silence ? Rien ne se faisant sans rien, il n'est pas à attendre une révolution qui changera radicalement la vie : tout est si compliqué, imbriqué, relatif. Quelle beauté dans la jeunesse qui défile ! Quelle force de l'insouciance qui a peur ! Parce qu'on ne peut espérer hypothéquer l'avenir de la jeunesse, décider de son destin à sa place. Parce que le monde des adultes raisonnables est une illusion qu'il faut combattre avant d'être submergé par ses mensonges , soyons fous ! Nous n'irons nulle part sans une part importante de réalisme et d'utopie. Des valeurs que nous ne connaissons pas nous attendent dans la rue, qui comptent sur nous et sur toute l'énergie de la jeunesse ! Soyons novateurs ! Inventons l'avenir avant qu'il ne nous engloutisse ! Ne s'agit-il pas d'inventer d'autres valeurs ? Ce qu'il nous manque. Cette part de rêve qui fait défaut au travailleur aliéné par sa condition et qui ne fait aucun mouvement, mieux, qui lutte pour sa propre aliénation. Que faire sans les rêves ? Devenir une machine ? Passer et repasser son fer jusqu'à crever, jusqu'à ne plus savoir parler ! Suis-je l'extra-terrestre qui déambule dans les allées du supermarché ? Est-ce moi celui qui ne parle pas la même langue ? Quelle autre épaisseur que cette condition toute fluctuante ai-je ? Suis-je condamné à n'être toute ma vie qu'une machine sans cervelle?
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