Pour les lois et les décrets, tu n'es qu'un numéro de formulaire perdu dans un dossier poussiéreux au troisième étage d'une préfecture. Pour un certain pouvoir, tu n'es qu'une étrangère et son enfant, quelque chose de pas commercial et de pas quantifiable, seuls mesurables sont le mépris et la haine que tu suscites autour de toi. Pour eux, ce sont des programmes politiques, des quotas à respecter... une certaine idée de la France, "profonde", "de souche", immaculée comme la neige au petit matin. L'heure est grave, car si de nouveaux tyrans parlent et vocifèrent, il y a beaucoup de monde, encore, pour les écouter. Il n'est pas besoin de carte pour faire de la politique. Il n'y a pas besoin de tenir de beaux discours pour se sentir engagé. Astrid-Mira a sept ans. Elle est née à Kinshasa au Congo, pays qui a connu une guerre civile faisant 3,8 millions de morts. Sa mère et elle se sont réfugiées en France en mars 2002. Astrid-Mira sait écrire. Comme d'autres enfants de sa classe immigrés en France, elle montre une grande motivation. Dans sa classe, un enfant lève le doigt même lorsqu'il ne sait pas la réponse, tellement il a envie, tellement apprendre dans son école est important. Mais toutes deux sont sans cesse menacées d'expulsion. On ne veut pas savoir, on ne signe pas les papiers, on a des ordres. Comme dans beaucoup de cas semblables, les enseignants sont les premiers à se mobiliser, quitte à se mettre hors-la-loi, à affronter la clandestinité. Aujourd'hui, les poètes s'en mêlent. Ce n'est pas seulement parce que cette situation est inacceptable, ce n'est pas un coup d'éclat ni une mode. Beaucoup de personnes sensées ne supportent plus le climat de haine, de rejet et de repli sur soi. Beaucoup ne supportent plus le silence face à des questions de justice, de paix et de développement économique. Plus que jamais, c'est l'engagement de chacun et la résistance qui auront raison de la misère. Une nation fliquée, immorale, sans rêves, sans élans vers les plus pauvres et les plus fragilisés est vouée à dépérir et à répéter les erreurs de l'Histoire. Prendre la parole, qu'elle soit poétique, politique, utopiste ou révoltée est urgent. Astrid-Mira n'attendra pas. Sans soutien, un jour, elle sera reconduite à la frontière, elle et sa mère ne seront plus qu'un numéro de formulaire dans un dossier classé, au troisième étage d'une préfecture.
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Terminal
Parmi la multitude des chemins, certains prennent les plus rocailleux, d'autres les plus détournés, les plus pervers, d'autres encore vont à Beyrouth, Tombouctou, Berlin, St Jacques de Compostelle... Bref, tous les chemins mènent à Rome. Le meilleur, quand même, c'est le chemin buissonnier. Microbe n°35 s'en mêle autour de "Ministoires de voyages". Ca circule, ça serpente, ça décolle vers le cosmos. Parmi d'autres auteurs, Jean-Jacques Nuel nous présente un extrait de roman, "L'autoroute". Là, tu t'assois dans la bagnole et tu rêves. Comme quand tu étais petit à l'arrière de la 4L ! C'est la nuit, tes parents conduisent sur l'autoroute, toi tu dors, tu n'as que ça à faire, tu dors la joue collée à la vitre froide. Tu n'arrives pas avant plusieurs heures, les phares défilent en sens inverse, tu te perds entre la buée et la carrosserie de la portière. Des voitures, il y en a des millions, des chemins, des ponts, des routes, des aéroports... Quant à l'ultime chemin, c'est lui qui te dira où tu vas vraiment.
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"Stabat Mater Furiosa"
Quel est le dénominateur commun entre un spectacle d'une actrice de la Compagnie des Songes jouant "Stabat Mater Furiosa" de Jean-Pierre Siméon dans une petite ville de province et un happening délirant de Mazout et Neutron dans cette même ville de province, si ce n'est que parfois le théâtre touche à la divinité ? La capacité d'une actrice à apprendre et réciter un texte aussi rageur pendant une heure me laisse admirateur. Au début de la pièce, nous sommes plongés dans le noir pour trois minutes, silence... attente d'un signe... une porte s'ouvre, une respiration se fait entendre. Puis l'ampoule finalement s'allume. Frêle jeune femme, les pieds dénudés, dans un manteau, et qui commence son long monologue, adressé à nous, à qui d'autre ? "Je suis celle qui refuse de comprendre / je suis celle qui ne veut pas comprendre et / qui implore..." La pièce est pleine de rage, d'élans puis de calme, on s'inquiète pour l'être fragile quand elle semble côtoyer la folie, on s'émeut de ses cris ! Une femme s'élève contre la barbarie humaine. Cette pièce, ce long poème est fait de ça, et de la beauté aussi, de la fureur enfin. "On n'entend pas les pas de la foule le samedi dans les villes / sur les places publiques dans les marchés / on n'entend pas le pas d'un homme / qui va à son travail / et quand un homme court vers ce qu'il aime / c'est son souffle qu'on entend / mais quand la foule des guerriers se met en chemin / c'est son pas d'abord qu'on entend / son pas qui martèle / oui les coups du marteau sur la terre / le pas qui frappe et qui dit je suis là je suis partout / et comme les bêtes qui sentent de très loin venir l'incendie / chacun sent monter en lui l'écho sourd de ce pas / pas d'histoires tout le monde sait cela / tout le monde / même l'enfant nouveau né en a la mémoire ». Ce qu'on entend c'est un cri, une complainte, les larmes et le bonheur aussi d'être dans le cocon, le doux cocon de la vie. L'histoire humaine est tragique, baignée des guerres innombrables des hommes, de la violence aveugle et de la cruauté. Le message de Siméon s'est élevé de Saïda au Liban en 1997, ravagé par les bombardements, il est celui de l'homme libre, du poète ancré dans le monde, celui qui voit, transmet, suggère et évoque pour nous ce que nous sommes, ce que nous avons été. On sait que les buildings ont été reconstruits, tout va vite, l'activité humaine est sans bornes. Alors il faut dire, témoigner pour le courage et la dignité de la femme et la rédemption des hommes. Cette pièce a été jouée à Avignon, elle n'est pas de celles qui passent à la télévision. Elle n'est pas de celles qui font déplacer les foules en masse. C'est une femme seule plongée dans l'obscurité. Vous avez beaucoup de chances de mourir avant de la voir. Vous avez toutes les chances de ne jamais entendre parler de cette pièce ou de son auteur. Bref, les choses les meilleures sont les choses cachées. On vous ment ! La vraie vie est ici ! La vraie vie est un théâtre dans une salle sans nom, sur la place d'un château disparu, sous les arbres, en plein ciel. Il ne nous reste simplement que quelques réponses à chercher, et puis on pourra tous partir. La lumière peut se rallumer.
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