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  • Une leçon de vie

    Fin de l'épisode limousin avec ce récit qui n'a rien à voir avec la poésie, dans la mesure où le monde non plus n'a rien à voir avec la poésie. Je me suis dirigé vers l'église Saint-Pierre (je n'y peux rien, c'est comme cela qu'elle s'appelle). A l'entrée, un mendiant attendait, j'entrai sans un mot. Je suis arrivé pour la communion. Sur les bancs de chaque côté et en face de l'autel, il se formait une procession en direction du prêtre. Le mendiant est alors entré et s'est dirigé vers le prêtre, il a tendu la langue et le prêtre lui a donné un hostie. Tout cela m'a ému. Le mendiant est allé se ranger avec les autres. Je me suis dit : « Cet homme me donne une leçon de vie, par un moyen ou un autre je ne dois jamais oublier ce moment. » Je suis allé m'installer au fond de l'église. J'ai posé mes fesses sur une chaise en attendant la fin de la messe. J'admirais les vitraux, les sculptures, l'immensité de l'espace de cette église. J'étais bien. Je pensais à tous ces siècles de processions, à notre histoire tragique, un peu à moi aussi. Je me disais que ma mère aussi avait dû passer des heures assise sur son banc lorsque j'étais malade. Tout cela me donnait un peu envie de pleurer. Mais j'avais ma fierté. J'essayais d'entendre le silence en moi, ce silence de mort, inaudible, et ce sens insaisissable qui se cache derrière chaque relique tout au fond des églises. Pauvre conscience. Pauvre être perdu dans le vide du non-sens. Pauvre mortel entre vie et trépas. L'architecture si belle des églises, l'ordre de l'esprit face à la douleur et à l'absurde... Il s'agit de croire un peu à une construction, un dessein qui se trame. La vie serait un résultat des possibilités infinies de l'univers. L'absurde serait la négation totale et le chaos. Inextricabilité des choses... Que savons-nous de la vie et de la mort ? Que savons-nous de Dieu, des hommes ? Nous marchons vers un espace possible, une probabilité des choses. Nous croyons, nous espérons. Comme notre mendiant, nous arpentons les dallages de l'église. Nous ne sommes que des êtres provisoires, engagés sur une route dont nous ne faisons qu'entrevoir le néant.

     

  • Un visiteur attentif

    Venir à un salon permet de faire des rencontres inédites. A marcher dans la rue, nous sommes tous anonymes, nous nous croisons sans un regard, une parole, nous regardons le visage, les habits, afin de percer si untel ou untel est sociable, rebelle, irresponsable. Nous regardons les vitrines en se disant : "n'importe quoi", "tiens, je vais entrer là" ou "c'est trop cher"... Nous portons à la fois un regard critique et un regard halluciné, hypnotisé, nous cédons à l'appel des anges. Plusieurs niveaux de conscience se superposent. Savoir se mettre "hors", "au-delà", "au-dessus" c'est se libérer de l'hallucination collective, ne plus être ébloui par le chic, le luxe, le confort dans toutes ses dimensions. C'est se mettre "à part" aussi. Savoir adopter une attitude critique est le début de toute sagesse, le commencement d'un chemin qui porte à l'illumination. Nos rues ont beau être éclairées... quelle différence avec les chemins sombres qui les traversent ? Il faut s'arrêter, s'interroger, se convaincre à entrer pour connaître un épisode qui, c'est sûr, marquera la journée. Un homme de 68 ans et sa femme se sont donc arrêtés à ma table, intrigués pas le titre : "Mot à Maux". « - Les immeubles font bouger la terre », me dit-il. « Je ne sais pas si c'est le cas, mais la terre, elle, les fait bien bouger ». S'en ensuit une conversation à propos des difficultés de notre temps. « - L'homme a détruit, en un siècle, quatre milliards d'années d'évolution. » Là, je bondis en disant : « Oui ! Et que voulez-vous faire ? Les gens ne se posent pas de questions, ils vivent presque sur une autre planète ! Ils sont perdus dans leurs I pods, leurs Windows multimédias, leur confort tout relatif. C'est le train-train quotidien, on ne peut pas arrêter la machine humaine. »  « - Bah, bah, bah », me dit l'homme. « - Nous n'avions à l'époque que quelques fruits, deux chaussures et quelques vêtements... » La misère continue elle-aussi aux quatre coins du monde, nous sommes de plus en plus riches, dépassés, débordés par toutes les choses que nous pouvons acquérir. « - L'homme va mal, très mal. » Et que voulez-vous faire ? « Moi, j'ai la poésie. On ne peut pas nous enlever ça, sinon on nous enlève notre âme. » Silence. La salle peu à peu se réveille. Des paroles murmurées, des discussions. Les visages s'éclairent. Les mouvements reprennent. « - Bon, on va y aller. Au revoir. » Voilà, c'est fait. Un des premiers visiteurs. Un visiteur qui reprend son chemin dans la rue, qui s'efface, anonyme. Je range un peu le tas de revues. J'allume une cigarette sur le trottoir. Tout à l'heure, à la pose, j'irai moi-aussi me dissoudre dans le marasme de la rue. Moi aussi je prendrai le chemin, je suivrai le pas des voyageurs. En passant par l'église, je jetterai quelques regards attentifs vers les vitraux qui éclaireront mon chemin.

  • Tes papiers !

    Mot à Maux s'est déplacé à Limoges ce week-end sous l'invitation de Laurent Bourdelas à l'occasion du premier salon de la revue francophone, dans la chaleur accablante d'un mois de juin. Une quinzaine de revues était au rendez-vous (Comme en poésie, Friches, Poésie/première, Pyro...) et quelques lectures et animations sous le pavillon frigorifique mais néanmoins caniculaire au centre de la capitale limousine. Ambiance sympathique portée par une actualité brûlante (une manifestation de "sans-papiers" ayant investi le lieu vers 16 h 30 ce dimanche, prévenus, nous avions dû écourter un peu la session), dans un contexte social qui rappelle des heures d'autres temps, pas très glorieux, les rafles encore reprennent. La poésie rattrapée par la réalité, nous étions beaucoup à ressentir un grand malaise, à penser que nous avions décidément bien notre place ici. Car un engagement poétique n'est pas seulement de mots. Il figure au beau milieu de notre vie sociale. Le poète n'est pas cet être illuminé planant sur des nuages, à l'écart et contre le monde, il se situe dans le marasme, lui aussi a la nausée, il souffre, ses larmes sont les mêmes ! Les collectifs de soutien aux plus démunis me semblent être ces veilleurs, alertés par une injustice récurrente, par une uniformisation de l'indifférence et du rejet ! Ce sont les vrais poètes ! De même qu'ils véhiculent d'autres valeurs, elles-mêmes partagées par d'autres combattants, universitaires, professeurs, travailleurs, simples passants, vous, moi ! Tous nous rêvons à une autre civilisation. Nous en avons marre de subir l'imbécillité et la fatalité des puissants. Marre que la voix des plus nombreux et des plus faibles soit opprimée et que liberté et dignité soient bafouées. Je ne m'emporte pas, je suis calme. Mais qui écoute ? Les passants dans la rue, les médias, les politiques ? ... chut... Je suis calme, je me rassois sur mon banc, je suis sage, sage... un enfant très sage. Je dis bonjour aux passants, au marché, au restaurant, dans la rue. Je me dissous dans les esprits, j'ai les mêmes attitudes, les mêmes vêtements... Je fais peur ! Un homme qui lit, qui ne sourit pas, ça fait peur ! Un homme dans un miroir, ça fait peur ! Il vaut mieux traîner dans les magasins, fouiller les supermarchés. Dans un salon de poésie... vous n'y pensez pas ! Soyons sérieux, le monde va mal, les poètes font fuir et la terre ne tourne pas très rond. Moi, je suis désespéré. Nous vivons une belle aventure. Ca continue.