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Mot à Maux - Page 36

  • "Toutes têtes hautes", Hervé Martin

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    Tout lecteur devrait s'effacer devant un auteur. Un recueil dépasse même celui qui l'écrit car il traite le plus souvent de choses ineffables et universelles dont les sentiments provoquent une alchimie énigmatique. J'essaie personnellement à chaque fois, de trouver un sens caché à un poème, j'ai le souci de traquer le non-dit, le latent, un texte me parle lorsqu'il arrive à créer une communion d'esprit qui dépasse les simples personnes. Lire un recueil de poèmes permet de fixer un moment l'attention sur des choses qui nous échappent dans la vie ordinaire, ensuite, on se sent un peu différent, un peu moins bridé par les ornières de la vie et de soi. On peut se pencher sur des choses essentielles, se donner aux mystères de la vie. Je suis convaincu que la poésie peut accompagner la vie mais en aucun cas se substituer à elle. Tout comme la vie sans poésie ne mérite pas d'être vécue. Il y a peut-être un équilibre à trouver car nous sommes des êtres assoiffés de sens et désireux d'éternité. Et tout cela se fond dans l'architecture de l'univers.

    C'est une des richesses de la poésie que de pouvoir être proposée à tout moment et d'entrer ainsi au service du lecteur. Un texte existe en lui-même, ce que nous en faisons n'est qu'une interprétation personnelle. ( Pour connaître réellement une chose, il faut faire abstraction de sa propre subjectivité, ne contempler que la chose nue. Un exercice quasi impossible. )

    Hervé Martin s'est exprimé sur la publication de « Toutes têtes hautes » et sa revue « Incertain regard » dans un entretien avec Francopolis. Une partie non incluse dans le recueil est parue dans Mot à Maux n°5.

    Le recueil s'ouvre sur « Exil » : « Je viens du soir la contrée / de ma vie où l'ombre / jetée couvre au-dessus / une plaie qui s'enivre ». La fuite inexorable et subie se traduit par une recherche de l'origine, c'est l'éternel retour : « et retrouver au soir un gîte. » Le poète est un « émissaire » qui vient reprendre un bien « qui réchauffe l'épaule / pour tous dos courbés / toutes têtes hautes. »

    Les renvois incessants de la réalité à la poésie et vice versa sont conjugués dans « l'ordinaire » des jours et des nuits où tout acte est présence. Le poète traque l'aura de chaque chose et se fait analyste de soi au plus près des mots. Ainsi la partie « Auxiliaires Etre » où l'on peut lire : « Des reflets en ces lieux / te contraignent / et tu erres à ton tour / avec ce visage d'avant. » et « Tu marches au ciel trébuches / et rognes / sur tes vœux / la part de la lumière. »

    Le poète est « comme un géomètre » amené à « toiser la profondeur / l'Entaille / cette griffure Enfance / insatiable. » Dans « Taire » (dédié à sa mère) le poète se fait son propre miroir, avance plus encore en avant sur le terrain de sa connaissance. On peut lire : « Aux murmures les paroles / se blessent Pages / encornées du calendrier. » puis « Les pas s'agitent / en tout sens les mots / resurgissent en désordre / Hier réhabité. » et « Les mots ne peuvent rien / l'absence est simple / à notre peine / communs les jours / au loin s'effondrent ».

    C'est la symphonie de l'humain qui s'enclenche afin de « Convoquer tous les rêves / ces merveilleux oiseaux / qui s'affolent dans l'air. » Le mot d'ordre « connais-toi toi-même » est en marche dans chaque poème. La genèse de l'écriture rejoint celle de la vie dans toutes les dimensions de l'être.

    La section « Métier » est un vrai régal, l'écriture de Hervé Martin y est totalement ouverte et fonctionne magnifiquement. Enfin, « Intempéries » oscille entre éclaircies et éclipses : « Présence ta voix effacée nous revient » et culmine avec « Nous scrutons le silence / et le fond du jardin la rue / au moindre bruit s'éveille Ombres lentes / passages d'inconnus l'enveloppe de l'absence. »

  • Copier / coller

    En retrouvant quelques vieux papiers, j'ai en même temps retrouvé quelques sensations désagréables du moment de l'écriture. C'est ainsi que je me pose la question de sa valeur qui est tout simplement la question du ressenti, de la compréhension du monde. Se déconnecter complètement de cette relation, c'est entrer en soi dans ses propres névroses. C'est ainsi aussi que l'on parvient à se débarrasser de l'ego qui gouverne la vie. Comment ? L'expérience m'a appris que c'est en menant une guerre véritable en soi et contre soi. Certains textes retrouvés n'avaient ni plus ni moins pour autre sujet et motivation que la renonciation à mon propre moi. Un ego puissant révélera une vie personnelle très pauvre, orientée vers la satisfaction immédiate de ses désirs, un ego combattu pourra certes mener à la psychiatrie mais sera plus riche en volonté de bien et de justice entre les hommes. Le moi est haïssable. La création est cette faculté de créer un univers autre que le sien, à se figurer toutes les contradictions et les différences. Débarrassez-vous de votre ego ! Cela vous permettra non seulement d'entrer dans un espace de création mais peut-être d'atteindre aussi une certaine paix (j'ai mis plus de dix ans à la rechercher, je n'y suis pas parvenu). Pourtant, toute la question est là. Je ne dis pas que vous n'entrerez pas dans des souffrances abominables, mais tout de même, l'espace d'un instant, il vous sera permis de rêver à une autre vie que la grisaille qui couvre nos fenêtres à chaque instant de la vie. Tout cela est question d'esprit, je le conçois. De position, de postulat. Vous n'êtes pas obligé de sombrer dans la folie ! Tout dépendra du degré auquel vous serez prêt à parvenir, et la souffrance sera un critère absolument non négligeable. Je rêve souvent de mon passé. Je joue souvent le jeu de la réminiscence. Je regrette des chemins pris dans la douleur. Mais peu importe, tout cela s'est passé. Et je rêve aussi d'avoir pu prendre un autre chemin. Peu importe. La douleur faisant partie de l'existence, seul l'esprit critique permet d'en dégager les inextricables racines. Quelles richesses dans la dévotion ! Quelle aventure magnifique que la renonciation à soi et l'entrée dans les rêves ! C'est un tout autre monde qui s'ouvre, comme toutes les fenêtres et les portes d'une maison ! Copier / coller la réalité dans ses rêves, sur ses carnets et les retrouver des années plus tard au détour d'un moment épileptique, quelle belle sensation perdue qui se retrouve ! La poésie, d'ailleurs, a-t-elle une autre fonction que de ramener ces moments privilégiés à la mémoire et de les fixer dans l'éternité ? Et l'on se prend à confondre ces paroles avec une réalité que l'on aurait vécu... Pourtant, tout cela n'est que sensations, énergie diffusée dans la vie, richesses à un moment perçues et enregistrées dans les régions du cerveau ! Alors, que reste-t-il des années plus tard ? Ces souvenirs, ces regrets, cette nostalgie du temps passé et perdu. Il est des sensations si délicieuses à retrouver que leur perte vous mène à un désespoir absolu. C'est cela l'écriture, c'est cela la renonciation à l'ego et le rêve d'une autre réalité. Et comment dire la fin de tout à l'heure de la mort et de la disparition ?

  • Massacre à Cana

    « Au moins 57 personnes dont 32 enfants ont été tuées dimanche dans le pilonnage du Liban » (lemonde.fr). La guerre s'entache d'un nouveau massacre. Je m'étais préparé à me remettre à l'aquarelle ( ? ) quand la nouvelle est tombée. Du coup, je n'ai pas sorti mes pinceaux et la nécessité d'écrire une note s'est fait ressentir. Que faire face à la bêtise ? C'est toujours l'Histoire humaine qui déroule son tapis d'horreurs face à l'innocence des victimes, dont le seul tord est de s'être mises sous l'impact d'un missile. Peu importe qui tire ou pas une roquette, une vie s'entoure d'un caractère sacré dès lors que la barbarie la retire de quelque pays, de quelque lieu que ce soit. La vengeance appelle la vengeance et le cercle est sans fin, emballé dans cette région du monde, mais aussi ailleurs, partout où le non-droit bafoue la vie et la dignité. Ne soyons pas dupes. Dans de nombreuses régions, des massacres sont perpétrés, nous avons tous en souvenir les guerres civiles en Angola ou au Rwanda, nous savons que certaines tueries n'ont pas valu une intervention franche des puissances internationales, pour un principe de non-ingérence et parce que cela se passait loin, dans des pays où les enjeux économiques n'étaient pas présents. Cela a peut-être commencé avec une certaine opération : « Tempête du désert » lorsqu'un dictateur iraquien a envahi le Koweït et cela s'est poursuivi avec les attentats du 11 septembre. Et nous savons où en est la situation aujourd'hui. Devons-nous comprendre que certaines choses sont plus importantes que le simple respect de la vie humaine et que des intérêts politiques et économiques priment sur la simple justice ici et ailleurs dans le monde ? Soyons donc attentifs à l'évolution d'un conflit qui est aussi le conflit entre civilisations qui ne parviennent pas à harmoniser leurs différences. Soyons de plus en plus désireux que les peuples parviennent à vivre ensembles et soient gratifiés d'un respect international de leurs identités. Certaines idées priment sur tout le reste. La création ne peut que s'effacer face à la tragédie, non dans le silence mais dans un désir de plus en plus ardent de la paix et de la fraternité entre les peuples. C'est quelque chose qui peut commencer ici, partout où l'imagination peut se faire entendre. L'Histoire est condamnée à se répéter si aucun sursaut significatif ne se manifeste. Ce qui se déroule ailleurs, dans l'impuissance où nous nous trouvons, peut amener à infléchir toutes les certitudes. Le Christ a donné sa chair pour le salut de tous les hommes, entend-il, pour ceux qui croient en lui, que la mort injuste de ces enfants soit un appel à la paix entre les hommes ?