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  • Sur la route

    La préparation d'un voyage est toujours quelque chose de mystérieux, plus encore quand il s'agit de revenir sur les traces d'une quinzaine d'années. Je vais donc faire le grand saut dans le temps dès lundi à l'occasion d'un voyage thérapeutique qui passera par Jaunay-Clan pour ma part et quelques autres villes du sud-ouest en ce qui concerne mes compagnons de route. Pas des poètes, non, de simples passants qui ont eux aussi leur route, leur histoire, leurs problèmes et leurs rêves. Alors, c'est quoi quinze ans sur la route ? Il se passe quoi dans la tête quand on se souvient de tout ça ? Je sais pas. J'ai mis mes poèmes en ordre. Je me suis débarrassé des vieux papiers, des brouillons, toutes les ratures sont destinées à la cheminée, les ratés, les pas mûrs, les qui n'auraient jamais dû venir au monde. Tout est classé, là dans une boîte, tout ce qu'il ne faut pas oublier, ce qui devra un jour ou l'autre renaître dans une autre dimension. Au cas où le voyage n'aurait pas de retour, au cas où la nostalgie m'happerait trop férocement, avec ses griffes, ses gouffres, ses rancœurs. Ok, c'est du passé, du vécu, on ne refait pas le monde quinze ans après. Il ne se passera rien d'extraordinaire, c'est même ennuyant de prendre son sac à dos, la route pour des centaines de kilomètres... Quand même, je l'ai vécu tout ça, c'est là-bas, ce n'est pas si loin. Mort à dix-sept ans, traîner son cadavre dans toutes les directions, par tous les chemins, il reste forcément quelque chose de pas dit, de pas ressenti, quelque chose qui pourrit. Alors, je vais revoir le lycée, les rues de Jaunay-Clan, les chemins maintes fois arpentés, les routes, les lieux sombres. Et puis quoi... tout ça c'est de la pierre, du square, du café servi, de la clope avec les cheveux en pagaille et les idées directement issues d'une explosion souterraine ravageant en surface les immeubles et les constructions sur les jardins publics. Rue de l'Ormeau tu as vécu, rue de l'Ormeau tu t'en est allé. Et si tout devait sombrer dans l'oubli. Et si ta future tombe devait effacer cette certitude que tu as traînée avec toi, au lycée, à l'asile, à l'ombre des dunes, sur les pavés fermes des rues dégueulasses... C'est peut-être ce qui arriverait si je devais succomber aux trop nombreuses blessures, à un banal accident de la route, à une crise cardiaque. Alors, j'ai tout mis dans une boîte, tout est classé, étiqueté. Tant pis pour tout le reste. Dommage. Et puis, qu'est-ce que l'écriture ? Il y a la vie, la vie... Mort à dix-sept ans, c'est bien con quand même. Et puis, allez... il y a bien toujours une route. C'est ce qu'on va voir, c'est ce qu'il faudra bien voir. Et pourvu que je n'oublie pas ma brosse à dents.

  • L'O.S. des Lettres, Jean-Pierre Lesieur

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    Ça y est, la fin du monde est prévue dans dix minutes ! Ouf, ah ben alors, je vais pouvoir souffler un grand coup !

    Mais non, je blague, je suis toujours là, assis à mon clavier d'ordinateur, je commence même à apprendre les touches par cœur.

    Fait les courses, passé devant la parfumerie (ça pue), devant le pressing (il est toujours là), entré chez le marchand de tabac... Pris sur la table du salon l'O.S. des Lettres de Jean-Pierre Lesieur.

    Ce bouquin est extra. Une vraie perle de poésie. L'O.S. des Lettres, « C'EST LE POÈTE !!! », un gars occupé à son fourneau, qui ne rêve que d'embrasser la secrétaire de son patron, et dont les idées sont dangereuses. Un constat : « Jamais le poète n'a pouvoir de décision. On se demanderait bien d'ailleurs sur quoi. (...) On lui colle un vague droit à la participation, à l'actionnariat volontaire ou non, pour tenter de réformiser la poésie à l'école... » Bref, le poète est à la société ce que le fromage blanc est à une usine de retraitement de déchets nucléaires. Pas grand chose. Lui, puni par Dieu qui le rend responsable du péché originel. Lesieur avertit : « J'ai un froc qui traîne dans les orties de vos messes, / Un missel d'églantine qui me sert aussi de verre à rosé pour lamper le pétrole de vos conneries. » et aussi : « Je ne me prends pas au sérieux, ceux qui me connaissent le savent bien, les autres, il faut aller leur dire. » La langue de Lesieur fait du bien, lape et mord dans toutes les directions. La machine à utopies ne va pas bien, le poète et son langage sont aussi éloignés de l'Eden que le sont les punaises et les cafards. Lesieur supplie : « Je rampe. Je plisse dans la reptation. Je quémande. J'aumône. Je lime la carpette. Je varlope le plancher. J'étale. J'étends. J'allonge ma silhouette. Je glisse entre le papier peint et le mur sans le décoller. Je serpente. Je passe muraille. » Le poète GUEULE, c'est son boulot : « Ras le bol / Ras le fait-tout / Ras le caquelon / Ras la marmite norvégienne / Ras le verre... » Paradoxalement à ce qu'il revendique, son message se perd dans le marasme du quotidien, il a beau tourner sa langue dans tous les sens, affronter NARCISSE, rencontrer l'AUTRE, ce sont alors « de longues diatribes sur la créativité et il y a péril en la demeure. » Qui et quoi peut donc sauver le poète, de lui, des autres ? Et comme pour tout le reste, il faut : « La charité, mon bon monsieur, pour des poèmes qui ont faim ! » Le poète est celui dont l'activité n'est pas cotée à la Bourse, dont le message n'est pas marchand et pourtant sa seule richesse. Aussi pour se consoler, participe-t-il à « La foire aux poètes » un exutoire qu'on lui propose, quelques miettes qu'il avale et pour lesquels les convives se dévorent entre eux. Le constat n'est pas tout rose. Il en ressort que « La foule anodine s'écart[e], inquiète devant tant de misère et de délabrement, des haussements d'épaules saccad[ent] les sourires. » Jusqu'à ce que quelqu'un crie « AU FEU ! » Oui, le poète aujourd'hui est « A VENDRE » ! Lui dont le travail fut réduit en cendres et qui n'appartient plus aujourd'hui qu'à une résistance. « ICI ON BRADE » car les tentatives de séduction ont échoué.

    L'O.S. des Lettres travaille au Parnasse. Lesieur dit : « Des oboles de grêle m'autorisent à crever / Sur des places publiques où dansent / Les guillotines lentes des bourreaux évolués. » Lui qui s' « époumone » et crie dans le désert. N'est-ce pas là que la société ne tolère plus que le silence, les voix s'élevant ne découvrant que la mauvaise conscience à l'intransigeance renforcée par un horizon de plus en plus éteint. Le poète brûle sa flamme dans les ténèbres, hurle des « Verbes impossibles » quand tout autour de lui se délie et perd sa signification : « J'alunis. / J'amarsis. / J'avenusis les deux mains dans le soutien-gorge d'une fusée. / J'ajupiteris dans une galaxie pas encore découverte », crie Lesieur ! Histoires d'absurde, de neurones mal connectés, d'incompréhension. Lui qui travaille le langage, le moud, le polit : « J'écris : / Un rossignol sur une branche et j'attends / Qu'il s'envole. / Comme tous ceux qui n'ont pas d'ailes / J'agite les bras / En pure perte », dit-il. Fin absurde d'une allumette qui a perdu son frottoir et qui ne s'allume pas alors que tout autour le désire ! Le poète dit : « Et la boîte. N'est-elle pas sous votre sac, dans votre sac, dans votre tête ? avec un frottoir humide. » Et l'O.S. de dire : « Je lui tiens un sein, une fesse, la taille, la poitrine. Je la tiens, Je la possède... PASSE-MOI L'ALLUMETTE...POÈTE. »

    Et le Chœur de dire : « - Les poètes et les O.S. sont les maîtres de la ville. Un violent concert de mots heurte les cheminées. Les girouettes s'affolent. On va voir ce qu'on va voir. »

    Je ne conseillerai pas assez au lecteur de découvrir et de dévorer l'O.S. des Lettres de Jean-Pierre Lesieur, pas parce que Lesieur est un poète accompli dont le travail de revuiste est reconnu de tous, mais parce que cette écriture fine et pertinente traite des problèmes actuels auxquels est confrontée la poésie. Une réflexion indispensable et convaincante qui a le mérite d'éviter tous les lieux communs, l'ouvrier spécialisé que décrit Lesieur fait partie de nous, il est chacun de nous.

    L'O.S. des Lettres, Jean-Pierre Lesieur, éd. Gros textes, 6 euros.

  • Trash urbain

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    A souligner, la création récente d'un site de photographie « Trash urbain » par David Tysman qui a illustré les couvertures des 5 précédents Mot à Maux. Le noir et blanc y est au service de l'émotion, du témoignage sociologique, enquêtant sur les ressentis de ceux que l'on dit « marginaux ». Or non, ce sont plutôt les représentants d'un peuple dont les ancêtres ont pris la Bastille. La France profonde, messieurs Le Pen et De Villiers, est bien là et non dans l'âme des citoyens fascistes et rétrogrades que vous appelez au vote. J'ai moi-même une partie de ma jeunesse dans celle des punks et des blousons noirs. Si je suis aussi blanc qu'un savon de Marseille, je n'oublie pas que je suis né de la révolte, de la marginalité, à la frontière de la clandestinité et de la délinquance. Alors, à bas les discours, les catégories ! A mort tous les préjugés ! A mort la bonne conscience du travailleur blanc, dont les chèques sont tous en blanc, avec des idées toutes blanches et le racisme noir ! Les photos de Tysman n'illustreront jamais le prochain « Gala » ou le prochain « Femme actuelle ». Si la lumière est remarquable, le cadrage est volontairement brutal et le message sanguinolent. Le sang noir, c'est la violence de la condition sociale, le rejet de la diversité et de la différence, l'incompréhension, en un mot le racisme. Tous les êtres sont égaux, leurs oppositions ne sont que formelles ; au fond, nous avons tous besoin de manger, de boire, de dormir au chaud. Alors, pourquoi la haine, le rejet, la stigmatisation ? Les hommes ont suffisamment de dimensions multiples... Une chaîne, un blouson, une barbe, c'est vrai, ça fait peur ! Les photographies de David Tysman sont peut-être une volonté de recherche et de démonstration des infinies qualités des hommes, de leur incapacité à se rencontrer au-delà des différences et de la nécessité de dépasser toutes les apparences. Elles démontrent à quel point nous sommes encore loin de pouvoir assumer toutes les diversités : le racisme est la réponse la plus facile et la plus intolérable aux difficultés d'aujourd'hui.