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Lectures - Page 4

  • L'O.S. des Lettres, Jean-Pierre Lesieur

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    Ça y est, la fin du monde est prévue dans dix minutes ! Ouf, ah ben alors, je vais pouvoir souffler un grand coup !

    Mais non, je blague, je suis toujours là, assis à mon clavier d'ordinateur, je commence même à apprendre les touches par cœur.

    Fait les courses, passé devant la parfumerie (ça pue), devant le pressing (il est toujours là), entré chez le marchand de tabac... Pris sur la table du salon l'O.S. des Lettres de Jean-Pierre Lesieur.

    Ce bouquin est extra. Une vraie perle de poésie. L'O.S. des Lettres, « C'EST LE POÈTE !!! », un gars occupé à son fourneau, qui ne rêve que d'embrasser la secrétaire de son patron, et dont les idées sont dangereuses. Un constat : « Jamais le poète n'a pouvoir de décision. On se demanderait bien d'ailleurs sur quoi. (...) On lui colle un vague droit à la participation, à l'actionnariat volontaire ou non, pour tenter de réformiser la poésie à l'école... » Bref, le poète est à la société ce que le fromage blanc est à une usine de retraitement de déchets nucléaires. Pas grand chose. Lui, puni par Dieu qui le rend responsable du péché originel. Lesieur avertit : « J'ai un froc qui traîne dans les orties de vos messes, / Un missel d'églantine qui me sert aussi de verre à rosé pour lamper le pétrole de vos conneries. » et aussi : « Je ne me prends pas au sérieux, ceux qui me connaissent le savent bien, les autres, il faut aller leur dire. » La langue de Lesieur fait du bien, lape et mord dans toutes les directions. La machine à utopies ne va pas bien, le poète et son langage sont aussi éloignés de l'Eden que le sont les punaises et les cafards. Lesieur supplie : « Je rampe. Je plisse dans la reptation. Je quémande. J'aumône. Je lime la carpette. Je varlope le plancher. J'étale. J'étends. J'allonge ma silhouette. Je glisse entre le papier peint et le mur sans le décoller. Je serpente. Je passe muraille. » Le poète GUEULE, c'est son boulot : « Ras le bol / Ras le fait-tout / Ras le caquelon / Ras la marmite norvégienne / Ras le verre... » Paradoxalement à ce qu'il revendique, son message se perd dans le marasme du quotidien, il a beau tourner sa langue dans tous les sens, affronter NARCISSE, rencontrer l'AUTRE, ce sont alors « de longues diatribes sur la créativité et il y a péril en la demeure. » Qui et quoi peut donc sauver le poète, de lui, des autres ? Et comme pour tout le reste, il faut : « La charité, mon bon monsieur, pour des poèmes qui ont faim ! » Le poète est celui dont l'activité n'est pas cotée à la Bourse, dont le message n'est pas marchand et pourtant sa seule richesse. Aussi pour se consoler, participe-t-il à « La foire aux poètes » un exutoire qu'on lui propose, quelques miettes qu'il avale et pour lesquels les convives se dévorent entre eux. Le constat n'est pas tout rose. Il en ressort que « La foule anodine s'écart[e], inquiète devant tant de misère et de délabrement, des haussements d'épaules saccad[ent] les sourires. » Jusqu'à ce que quelqu'un crie « AU FEU ! » Oui, le poète aujourd'hui est « A VENDRE » ! Lui dont le travail fut réduit en cendres et qui n'appartient plus aujourd'hui qu'à une résistance. « ICI ON BRADE » car les tentatives de séduction ont échoué.

    L'O.S. des Lettres travaille au Parnasse. Lesieur dit : « Des oboles de grêle m'autorisent à crever / Sur des places publiques où dansent / Les guillotines lentes des bourreaux évolués. » Lui qui s' « époumone » et crie dans le désert. N'est-ce pas là que la société ne tolère plus que le silence, les voix s'élevant ne découvrant que la mauvaise conscience à l'intransigeance renforcée par un horizon de plus en plus éteint. Le poète brûle sa flamme dans les ténèbres, hurle des « Verbes impossibles » quand tout autour de lui se délie et perd sa signification : « J'alunis. / J'amarsis. / J'avenusis les deux mains dans le soutien-gorge d'une fusée. / J'ajupiteris dans une galaxie pas encore découverte », crie Lesieur ! Histoires d'absurde, de neurones mal connectés, d'incompréhension. Lui qui travaille le langage, le moud, le polit : « J'écris : / Un rossignol sur une branche et j'attends / Qu'il s'envole. / Comme tous ceux qui n'ont pas d'ailes / J'agite les bras / En pure perte », dit-il. Fin absurde d'une allumette qui a perdu son frottoir et qui ne s'allume pas alors que tout autour le désire ! Le poète dit : « Et la boîte. N'est-elle pas sous votre sac, dans votre sac, dans votre tête ? avec un frottoir humide. » Et l'O.S. de dire : « Je lui tiens un sein, une fesse, la taille, la poitrine. Je la tiens, Je la possède... PASSE-MOI L'ALLUMETTE...POÈTE. »

    Et le Chœur de dire : « - Les poètes et les O.S. sont les maîtres de la ville. Un violent concert de mots heurte les cheminées. Les girouettes s'affolent. On va voir ce qu'on va voir. »

    Je ne conseillerai pas assez au lecteur de découvrir et de dévorer l'O.S. des Lettres de Jean-Pierre Lesieur, pas parce que Lesieur est un poète accompli dont le travail de revuiste est reconnu de tous, mais parce que cette écriture fine et pertinente traite des problèmes actuels auxquels est confrontée la poésie. Une réflexion indispensable et convaincante qui a le mérite d'éviter tous les lieux communs, l'ouvrier spécialisé que décrit Lesieur fait partie de nous, il est chacun de nous.

    L'O.S. des Lettres, Jean-Pierre Lesieur, éd. Gros textes, 6 euros.

  • "Toutes têtes hautes", Hervé Martin

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    Tout lecteur devrait s'effacer devant un auteur. Un recueil dépasse même celui qui l'écrit car il traite le plus souvent de choses ineffables et universelles dont les sentiments provoquent une alchimie énigmatique. J'essaie personnellement à chaque fois, de trouver un sens caché à un poème, j'ai le souci de traquer le non-dit, le latent, un texte me parle lorsqu'il arrive à créer une communion d'esprit qui dépasse les simples personnes. Lire un recueil de poèmes permet de fixer un moment l'attention sur des choses qui nous échappent dans la vie ordinaire, ensuite, on se sent un peu différent, un peu moins bridé par les ornières de la vie et de soi. On peut se pencher sur des choses essentielles, se donner aux mystères de la vie. Je suis convaincu que la poésie peut accompagner la vie mais en aucun cas se substituer à elle. Tout comme la vie sans poésie ne mérite pas d'être vécue. Il y a peut-être un équilibre à trouver car nous sommes des êtres assoiffés de sens et désireux d'éternité. Et tout cela se fond dans l'architecture de l'univers.

    C'est une des richesses de la poésie que de pouvoir être proposée à tout moment et d'entrer ainsi au service du lecteur. Un texte existe en lui-même, ce que nous en faisons n'est qu'une interprétation personnelle. ( Pour connaître réellement une chose, il faut faire abstraction de sa propre subjectivité, ne contempler que la chose nue. Un exercice quasi impossible. )

    Hervé Martin s'est exprimé sur la publication de « Toutes têtes hautes » et sa revue « Incertain regard » dans un entretien avec Francopolis. Une partie non incluse dans le recueil est parue dans Mot à Maux n°5.

    Le recueil s'ouvre sur « Exil » : « Je viens du soir la contrée / de ma vie où l'ombre / jetée couvre au-dessus / une plaie qui s'enivre ». La fuite inexorable et subie se traduit par une recherche de l'origine, c'est l'éternel retour : « et retrouver au soir un gîte. » Le poète est un « émissaire » qui vient reprendre un bien « qui réchauffe l'épaule / pour tous dos courbés / toutes têtes hautes. »

    Les renvois incessants de la réalité à la poésie et vice versa sont conjugués dans « l'ordinaire » des jours et des nuits où tout acte est présence. Le poète traque l'aura de chaque chose et se fait analyste de soi au plus près des mots. Ainsi la partie « Auxiliaires Etre » où l'on peut lire : « Des reflets en ces lieux / te contraignent / et tu erres à ton tour / avec ce visage d'avant. » et « Tu marches au ciel trébuches / et rognes / sur tes vœux / la part de la lumière. »

    Le poète est « comme un géomètre » amené à « toiser la profondeur / l'Entaille / cette griffure Enfance / insatiable. » Dans « Taire » (dédié à sa mère) le poète se fait son propre miroir, avance plus encore en avant sur le terrain de sa connaissance. On peut lire : « Aux murmures les paroles / se blessent Pages / encornées du calendrier. » puis « Les pas s'agitent / en tout sens les mots / resurgissent en désordre / Hier réhabité. » et « Les mots ne peuvent rien / l'absence est simple / à notre peine / communs les jours / au loin s'effondrent ».

    C'est la symphonie de l'humain qui s'enclenche afin de « Convoquer tous les rêves / ces merveilleux oiseaux / qui s'affolent dans l'air. » Le mot d'ordre « connais-toi toi-même » est en marche dans chaque poème. La genèse de l'écriture rejoint celle de la vie dans toutes les dimensions de l'être.

    La section « Métier » est un vrai régal, l'écriture de Hervé Martin y est totalement ouverte et fonctionne magnifiquement. Enfin, « Intempéries » oscille entre éclaircies et éclipses : « Présence ta voix effacée nous revient » et culmine avec « Nous scrutons le silence / et le fond du jardin la rue / au moindre bruit s'éveille Ombres lentes / passages d'inconnus l'enveloppe de l'absence. »

  • "Aux arbres penchés", Emeric de Monteynard

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    L'écriture poétique correspond certainement à un temps de la vie, à un âge dans lequel l'esprit se trouve. La poésie est une clef afin de sublimer ce qui est en soi. Quelque chose d'essentiel se produit alors qui dépasse l'être. Aucun mot ne peut être étranger à la poésie. Elle qui agit par symboles, par métaphores, est affaire de langage. Le monde entier est langage depuis que le "Verbe" s'est fait "Chair". Je n'ai plus la force d'entrer dans une critique concernant la poésie, la mienne ou celle des autres. Il y a cette étincelle qui survient, ou pas. Certaines oeuvres sont plus importantes que d'autres en ce qu'elles touchent de plus près à l'essentiel, à l'indicible, au mystère, et qu'elles subliment aussi le lecteur en l'entraînant sur des chemins sur lesquels il n'avait jamais marché. Cette même recherche relie le lecteur et doit être la motivation de chacun. Il faudrait arriver, déboucher par quelque moyen que ce soit sur la "réalité". La poésie devrait être un moyen de s'approprier le monde, de sublimer son impuissance afin que le monde lui-même soit une oeuvre, que la vie soit poésie. Beaucoup de révoltes m'ont animé durant ma jeunesse et durent encore. Parmi celles-ci, que le mal que l'on fait aux arbres, aux forêts aux quatre coins de la planète est un crime contre l'humanité toute entière. J'ai vraiment de plus en plus de mal à supporter ce que je lis dans la presse : un chiffre indique qu'approximativement une surface de forêt équivalente à un terrain de football disparaît toutes les trois secondes. Comment rester silencieux ? Je ne veux pas être la génération qui aura vu disparaître la plus grande partie des richesses de la forêt tropicale ! Je me sens coupable car je sais, et aucun mot ne pourra m'enlever ce sentiment. Que les hommes s'entretuent entre eux est une chose, qu'ils dilapident la richesse des générations futures est intolérable. J'ai lu "Aux arbres penchés" d'Emeric de Monteynard dans cet état d'esprit. Ce recueil s'attache à décrire ce que nous ressentons en nous de sentiments quand on évoque "l'arbre", c'est-à-dire cet être qui puise de ses racines l'eau de la terre et qui flirte avec la lumière afin de composer son message terrestre et céleste. L'arbre est un organisme vivant que vénèrent les tribus anciennes pour son caractère sacré. Nous avons perdu cette relation avec la nature, cet amour qui nous relie avec les forces de l'univers. Comment peut-on s'imaginer que cette perte sera sans conséquences ? "Tu ne te disperses pas. Tu sais depuis longtemps que la mort est un problème, un vrai problème. Probablement le seul à devoir affronter - non à résoudre !" C'est notre relation avec notre écosystème fragile qui est en cause, ce sont aussi de réelles valeurs à retrouver que sous-entend toute relation avec la nature et le cosmos. "Un arbre qui tombe, d'ailleurs, c'est toujours un drame pour nous, les « sans racine »". « Sans papiers », « sans racine », « sans repères », « sans avenir »... C'est quand que l'on crie ? "A quoi bon laisser des traces... quand tout est accompli ?" se demande l'arbre... Nous, nous savons pourquoi. Nous savons quelles sont les urgences et les combats à mener, nous savons que l'écriture contribue à renforcer le grand organisme de la vie, et que surtout chaque action menée produit son sens. L'écriture poétique est sûrement un moment essentiel par lequel certains individus doivent passer. Ainsi peuvent-ils servir d'exemple et renforcer toute nouvelle énergie. A tout le monde de s'approprier la parole poétique. A chacun de garder les yeux grands ouverts.