Je me souviens des cours de Français et des devoirs où il fallait décortiquer des poèmes selon des règles pré-définies par le professeur. L'étude des rimes, du vocabulaire, de la syntaxe... se mêlait à une analyse de l'atmosphère du poème, de son intention, de sa nouveauté. C'est ainsi que je suis entré dans le poème "L'Horloge" de Baudelaire, qui constitua mon premier choc poétique. Et comme le temps passe et que beaucoup de choses demeurent, me voici encore comme un élève à tâcher de saisir le mystère, le sens caché, la clef dans les poèmes que je lis. Pourquoi pas ? Mais quand même, il y a dans le poème ce que l'on ne peut définir, ce qui est palpable uniquement par un ressenti étrange qui vous amène dans une sorte de communion. Lire "Enigmes" de Jacques Canut, c'est un peu tout ça. Avec un texte aussi puissant, on reproduit les mécanismes de l'analyse, on tente de percer le voile, un mot, un vers soudain prend sens, devient limpide, l'impression est évidente. Subjectivité de soi, de son parcours, de son ressenti. Et si l'attention, la sensation, la "trouvaille" disparaissent, il y a toujours un flottement, puis une résurgence, la sensation apparaît à nouveau. Si la vie est comme "un parcours jalonné / de questions sans réponses", le poète lui en connaît quelques-unes, mieux, il les dilapide généreusement à qui veut bien l'entendre. Tentative de sortir du chaos, de l'absurde sans nom. Il s'agit de "dissiper les nuages / du cœur", de transmettre, de donner. Le poème "ailes de papillon" ? Oui, et bien plus encore. Si « Enigmes » explore des domaines aussi différents que l'écriture, la sensualité, l'absurde, il y a toujours au cœur de ces vers saisissants de sens dévoilé un mystère, une déchirure. Le poète voit, transmet, se soumet aux énigmes. Il est langage, élan, plénitude. Puis soudain tombe dans le néant. Qu'écrire sinon le reflet d'une vérité puisée dans les constellations ? A quel travail étrange destiner son esprit ? Ne s'agit-il pas de "cueillir l'étoile filante", de capturer dans son filet un sens, une logique, une permanence ? Le poète croit, se donne corps et âme. Que peut-il nous transmettre sinon la magie de son esprit, en défiant notre propre absurdité, nos murs internes ? Marchant "sur un chemin qui conduit / à la mort", il est l'ultime voleur, celui qui tirera du sommeil l'étincelle. Si le poète se demande "Quelle fut la finalité / de son (mon) existence ?" c'est que lui seul en dernier recours peut donner un sens, même infime, à l'absurde. C'est ainsi qu'il peut dire : "Je vais ailleurs, au-delà, / attiré par les énigmes / que nul ne sut / élucider." "Enigmes" de Jacques Canut nous convie au mystère de ce que nous nommons communément "le monde", il est aussi un éclairage singulier sur cette activité : la poésie.
Editions Calamo, 2005