Animateur du site mgversion2.0, Walter Ruhlmann est en quelque sorte un ancien combattant de la revue papier traditionnelle, il continue son travail minutieux au service des auteurs peu connus grâce à Internet. "Voulant d'abord proposer un périodique aux idées «underground» (sic*), je me range ensuite du côté de ceux qui offrent de la poésie à l'esprit ouvert plutôt que d'essayer de refaire le monde par son biais, en conservant malgré tout quelques idées bien précises sur le monde contemporain et ses gros défauts". C'est ainsi qu'il résume le début d'une aventure qui l'amènera à publier 49 numéros entre juillet 1996 et juillet 2000. J'ai voulu en savoir plus en lui posant la question : "A quoi sert une revue de poésie aujourd'hui ?" Walter Ruhlmann a accepté pour Mot à Maux de résumer sa pensée.
Walter Ruhlmann : "A quoi sert une revue de poésie aujourd'hui ?
La question est difficile. Que dire avec bientôt 10 ans de bons et loyaux services pour les auteurs peu ou pas connus ? J'ai l'impression de toujours remplir la mission que seule ma conscience m'a confiée. Ils ont été des centaines entre les pages dactylographiées, les mises en pages imprimées et photocopiées, les pages html.
Le premier objectif que je m'étais fixé, je pense l'avoir atteint mais il reste toujours aussi primordial. Ecrire est un acte égocentrique. Publier les autres - que ce soit sur papier ou sur Internet - met en valeur l'altruisme. Mais cela reste égocentrique tout de même. Il y a dans la publication des oeuvres d'autrui un moyen de dire: "Regardez! Ma revue a publié un tel et un tel." Qui écoutera? Qui lira ces pages? Les bibliothécaires, peut-être. Les amis qui ne veulent que votre bien et la réussite de votre entreprise. Les auteurs qui iront lire et relire leur texte par excès de narcissisme et ne jetteront qu'un coup d'œil distrait aux autres textes. Et parmi les autres lecteurs, des passionnés, des chercheurs d'or, des honnêtes gens qui aiment simplement lire, curieux de tout, bons lettrés qu'ils sont.
Alors si la publication et la diffusion d'une revue de poésie peut au moins servir à satisfaire ceux-là...
J'ai passé quatre ans à écrire aux différentes revues qui ont existé de 1996 à 2000 pour promouvoir la revue Mauvaise Graine lancée depuis Cirencester en Grande-Bretagne, réimplantée à Caen en 1997. J'ai passé quatre ans à recevoir des textes de tous horizons, à les lire, à les sélectionner, seul ou conjointement avec mes co-équipiers (Morgane et BrunoB). Pendant quatre ans, j'ai mis tout mon cœur à taper ces textes, à imprimer des pages, à les photocopier, à les agrafer, à mettre l'ensemble sous pli, à les peser, à les affranchir pour finalement les expédier à ceux et celles qui s'étaient abonnés à mon canard ou pour les services de presse, trop nombreux, trop coûteux. Publier une revue de poésie prend du temps.
L'abonnement à la revue coûtait alors 100 Francs pour la France. La dernière année, les abonnements à l'année rapportaient 4000 Francs. La fabrication et l'affranchissement me coûtaient 6000 Francs par an. Vous faites vite le calcul... Publier une revue de poésie aujourd'hui ne rapporte pas d'argent. Au contraire, lorsqu'on n'est pas chef d'entreprise dans l'âme, et on ne peut pas l'être avec la poésie, cela vous en coûte.
Mais évidemment, on ne se lance pas dans le revuisme pour ça. L'idée m'est venu d'abord parce que je participais à la revue Press-Stances de feu mon ami Frédéric Maire. Puis j'ai côtoyé d'autres revues (Inédits de Paul van Melle, L'arme de l'écriture co-éditée par Jean-Luc Lamouille, RétroViseur revue collective, Axolotl de Jean Grin, etc.) qui m'ont publié ou pas. Mais j'étais frustré. Je ne trouvais pas celle que je voulais vraiment rencontrer sur mon chemin d'auteur.
C'est après la lecture de Lettres à un jeune revuiste de Pierre Vaast autoédité en 1994, que je me suis enfin lancé dans l'entreprise, épaulé par Frédéric Maire et les premiers contributeurs dont Thierry Piet.
Je ne me suis jamais demandé à quoi cela pouvait servir réellement, si ce n'est que j'avais quelques idées bien arrêtées sur ce que je voulais en faire ou pas. Surtout ce que je ne voulais pas en faire. Je trouvais en effet bon nombre de revues trop souvent aseptisé et sans goût, sans saveur, inodores, incolores et au risque de paraître grossier, totalement à chier.
Et sincèrement, depuis le début comme aujourd'hui sur Internet, mon objectif est le suivant : donner la place à des auteurs qu'on ne lira pas forcément ailleurs à condition que leurs textes me traumatisent. Aller les chercher là où ils sont, par l'intermédiaire de ceux que je connais déjà ou simplement en les contactant. Ce sont pour beaucoup des personnes qui traînent aussi leurs savates sur le net et ont été publiés ici ou là, ou qui ont leur propre site. Ce fut le cas de certains d'entre eux à l'âge du papier. C'est quasiment exclusif aujourd'hui à l'âge numérique.
Si j'étais mauvais, je dirai que publier une revue de poésie aujourd'hui ne sert à rien. Mais ce n'est pas complètement vrai et il faut reconnaître que le travail de tous ceux et toutes celles qui se sont lancés dans cette folie met en valeur un genre dénigré et négligé. Il permet à des centaines d'auteurs d'avoir un réel espace d'expression, de rêver à une reconnaissance. Et ce côté un peu subversif, cette vente sous le manteau, cette aventure hors des sentiers battus de l'édition traditionnelle ajoutent encore un peu de piquant.
Publier une revue de poésie aujourd'hui est un acte de résistance d'utilité publique. Même si le public n'est pas bien dense et pas toujours réellement à l'écoute. Mais ça n'en devient que plus héroïque et courageux."